Je l'ai touché. J'ai touché un enfant. J'ai honte de moi-même. Je me dégoûte. Et pourtant... C'est la loi, dans l'Arène. On tue, ou on se fait tuer. Quelque part, on n'avait pas le choix. Oui, je sais, "on a toujours le choix", donc j'ai pris le choix de l'attaquer. Je sais tout ça, mais... Bon, d'accord, je n'ai aucun argument en ma faveur. Je suis un monstre. D'ailleurs, le petit Dean tâche de me le faire comprendre : « Que tu ailles au Diable pour vouloir tuer un petit garçon, que tu t'en veuilles toute ta vie et que tu es ma mort sur ta conscience à jamais. ». Il me jette ces paroles comme autant de couteaux tranchants. Avant de me cracher dans l'oeil. Ma main vient se mettre devant mes yeux, pour les protéger. Sauf que c'est trop tard. Je ferme brusquement les yeux, pur réflexe, ce qui empêche la salive de se loger directement dans mon oeil. C'était moins une. Le temps d'essuyer le crachat -d'ailleurs c'est vraiment dégueulasse-, et Dean a pris la fuite. Mia me fait signe, et nous courons à sa poursuite. Plusieurs fois, nous le perdons de vue, mais le bruit de ses pas nous aide à nous diriger. Et puis nous entendons un grand "splatsh !". Ce qui veut dire deux choses : il y a de l'eau, et Dean a plongé. Sans réfléchir, je pique un sprint, jusqu'à sentir l'eau contre mes jambes. Je marche encore, et plonge quand l'eau atteint mes cuisses. Je nage le plus vite possible, en me tournant parfois pour vérifier que Mia tient le coup. Puis une lumière m'illumine.

Je ferme les yeux et boit la tasse. Je bat des bras et des jambes pour me redresser, et sens bientôt le sol sous mes pieds. Je me redresse et lèvre doucement les paupières. Je suis à l'air libre. Sans déconner. Le soleil, l'eau, le sable ! L'air libre ! Je manque de sauter de joie, puis je me rappelle pourquoi nous sommes ici. Alors que Mia me rejoint, je tente de repérer Dean, tout en observant les alentours. Nous sommes dans un désert. Autour de nous, des sortes de ruines. C'est Mia qui repère finalement Dean. Un peu essoufflée, mais transportée par l'adrénaline, je cours encore. Je me demande comment j'ai pu courir autant. Je sors de l'eau et accélère encore. J'ai l'impression de voler. Mia me suis de près. Soudain, Mia me tire et nous nous jetons derrière un buisson rabougri. Dean est devant. Il ne nous a pas repérées. Il s'avance vers un champ de cactus. Il ralentit, pensant sûrement que nous avons abandonné, et se met bientôt à marcher d'un pas traînant. Quant à moi, l'adrénaline courant encore dans mes veines, j'ai envie de me jeter sur lui. Mais il faut que je garde mes forces.

Mia et moi suivons Dean de loin pendant dix minutes environ. Je me rend compte de ma soif lorsqu'il prend une gourde et avale de longues gorgées. Je me console en me disant que nous pourrons boire et nous reposer si nous l'attrapons. J'attrape une poignée de petits cailloux que je donnerais plus tard à Mia. Lorsque Dean ralentit encore, Mia passe à l'attaque. Elle s'avance, se glissant sans bruit le plus près possible, et tente de lui lancer une pierre à la figure. Elle recule ensuite de deux trois pas, et je m'approche à côté d'elle. Je glisse la poignée de pierres dans sa main, pour son lance-pierre, et me jette sur Dean. Je fais mine de lui mettre un coup de machette comme tout à l'heure, mais je feinte et l'attaque par la gauche, en visant les côtes. Je ne sais pas si mon coup a porté, mais ce n'est pas important. Je me déplace rapidement sur le côté, afin que le tribut du 9 se retrouve entre Mia et moi. Puis, subitement, je me met à parler. Je ne peux empêcher ce déferlements de mots de sortir dans ma bouche. « Tu as raison, Dean. Je suis un monstre. Et je pense en effet que j'irais en enfer. Mais j'ai une chance de m'en sortir. Cette chance, c'est tuer. C'est ça, la règle de l'Arène. Tu traques ou tu te fais traquer. Tu tues ou tu te fais tuer. »

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Dean ne prend pas la peine de répondre, lâche son sac, et s'enfuit en titubant. Ma première pensée ? Le poursuivre. Le tuer. Et puis je me rends compte que je suis en train de me transformer en ce que je ne voulais pas être. Ce n'est pas moi. Je regarde la petite silhouette de Dean s'éloigner. Mia aussi semble indécise. Je ne sais pas si elle attends que je bouge, ou si elle aussi a eu pitié de lui. Je sais que la pitié est un sentiment que l'on ne doit pas ressentir dans l'Arène. Vulphy me l'a souvent répété. Mais c'est plus fort que moi. Je ne peux pas m'empêcher de le plaindre. A travers lui, je vois Valentin, je vois Maya. Je ne suis pas prête pour ça. Je vais mourir. Je suis dans la merde. Je m'effondre au sol et prend enfin conscience de ma fatigue. Et maintenant, qu'est-ce que nous sommes censées faire ? Je jette un regard vague vers Mia et vers la silhouette de Dean qui ne cesse de diminuer. Lorsqu'il disparaît de notre vue, je me détend brusquement. Il n'est plus là. Peut-être sa fuite nous fera passer pour des faibles aux yeux des Sponsors. Peut-être, au contraire, penseront-ils que nous avons eu raison de lui laisser une chance. A vrai dire, je m'en fiche. Tout ce qui compte pour l'instant, c'est le sac qu'il a laissé.

J'attrape le sac avec prudence, et m'approche de Mia. Je ne le vide pas tout de suite. Il fait beaucoup trop chaud. Eh oui, nous sommes à l'air libre. Dehors ! J'avais presque oublié ! J'éteins précipitamment ma lampe, et conseille à Mia de faire de même. Il ne doit plus rester beaucoup de piles, et nous en aurons peut-être besoin, si jamais nous retournons dans les souterrains. Cette Arène se compose donc de deux étages. Un, à l'extérieur, composé de désert de ruines et de champs de cactus, relié aux Souterrains par des ruisseaux. En pensant à l'eau fraîche, ma gorge me brûle, et je me rappelle que j'ai soif. Je coupe donc deux bouts d'un cactus proche avec ma machette. Un pour Mia, un pour moi. « Tu peux boire, il y a de l'eau dedans. ». J'avale le liquide avec plaisir et, bien qu'il soit tiède, j'ai l'impression que c'est l'eau la plus fraîche que je n'ai jamais bu. Lorsque j'ai fini ma part, une idée me traverse l'esprit et je vide mon sac. Il contient une gourde à moitié vide, une miche de pain, une couverture, et deux cachets. Je met le tout dans le sac de Mia et coupe trois gros bouts de cactus, que je met dans le sac. Parce que d'accord, il y a de l'eau dans l'Arène, mais qui sait si elle ne contient pas de grosses cochonneries ? Alors que le liquide contenu dans le cactus est pur, bien que pas aussi bon et rafraîchissant que de l'eau de source. Mais c'est mieux que rien.

Nous nous reposons peu de temps, de peur d'attraper une insolation. « Je pense qu'on devrais retourner vers les Souterrains. Je sais que tu n'aimes pas être enfermée, mais on sera à l'abri de la chaleur. » proposé-je. Nous marchons une bonne vingtaine de minutes. Nous croisons un serpent, que j'abat grâce à un beau lancer de mon arme. Mia me regarde avec dégoût, et j'avoue que manger du serpent ne m'enchante guère. Mais je préfère manger ça que dormir le ventre vide. En chemin, nous croisons diverses plantes. J'ai parfois l'impression d'être épiée, donc je pense que ce désert est habité de toutes sortes de bestioles. Mais le gros gibier, s'il y en a, doit être de sortie la nuit. Inutile de traquer en plein jour. Parmi les plantes, je reconnais de l'oseille sauvage. Nous l'avons étudiée pendant les entraînements, et je me rappelle que la pulpe soulage les égratignures, et qu'on peut la cuisiner. J'en cueille donc autant que possible. Je ramasse aussi une petite botte de ce que je reconnais comme de l'armoise, qui soigne les brûlures d'estomac, et qui peut être cuisinée comme une herbe aromatique. Nous croisons enfin des petits acacias, utiles pour éliminer les diarrhées, les bactéries, et pour désinfecter la peau. Comme l'écorce est aussi comestible, j'en attrape un peu. Nous parcourons donc les derniers mètres bien chargées. Je guette aussi du bois, bien que je ne sois pas optimiste : je n'ai jamais vu beaucoup de bois sec dans un désert. Bon, je n'ai jamais vu de désert tout court, à part celui-ci. Mais j'avoue que j'aurais été plus rassurée avec un feu. Bah, tant pis. Nous arrivons devant le ru qui nous a permis d'arriver ici. Je me demande comment on va pouvoir passer avec tout ça. « Bon, organisons nous. » je propose. Pour les plantes, il n'y a pas de problèmes, elles supportent l'eau. Pareil pour les cornichons, qui sont dans un bocal. Il faut par contre qu'on fasse attention à la couverture, au pain, et aux cachets, à la pastille et au bandage.« Il faudrait qu'on mette les plantes dans ton sac, et le reste dans le mien, que je pourrais porter au dessus de ma tête ». Aussitôt dit, aussitôt fait. Mia se retrouve avec toutes les plantes, excepté un bout de cactus trop volumineux, dans son sac, et moi avec le reste. Je pose le sac sur ma tête et attache les bretelles à mon cou. J'ai sûrement l'air débile, avec mon chapeau-sac, mais au moins les objets seront protégés. J'avance dans l'eau jusqu'à ce mes pieds ne touchent plus le sol, puis je commence à nager, doucement mais sûrement. A peine cinq minutes plus tard, nous sommes de nouveau dans les Souterrains.

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