Tamari ? C'est une jeune fille plutôt amicale qui a tendance à faire confiance un peu trop facilement. Je la connais depuis un petit bout de temps cette gamine et jamais elle se montra irrespectueuse. Polie mais timide, discrète voire renfermée... C'est parfois un peu difficile de la faire parler. A la mort de son frère aîné - dont elle était très proche - il me semble que tout ça à empirer. Elle n'en parlait jamais, se contentait de dire le strict minimum... Pourtant elle est restait assez souriante. Après est-ce qu'elle ne se forçait pas un peu... Je ne sais pas.


Ah elle... Une fois, avec son frère aîné, il y a maintenant trois ans, elle avait cueilli des fleurs dans mon jardin. Je les avais rapidement rattrapé. Alors que Steve se défendait elle n'avait pas dit un mot, se contenant de regarder le sol. Lorsque je l'avais attrapé par le bras pour qu'elle lève les yeux elle s'était dégagée avec violence, une lueur de défi dans le regard. Bizarre. Elle paraît timide au premier abord mais en fait... Enfin ça ne l'a pas empêché de rougir deux secondes plus tard.


Tamari... C'est ma fille. Elle s'énerve parfois très rapidement pour des trucs sans importance mais se referme complètement lorsque c'est grave. Après elle se montre très timide et très peu bavarde avec les gens qu'elle connaît et qu'elle voit régulièrement comme la boulangère ou les voisins par exemple. Mais lorsque ce sont des personnes inconnues elle n'hésite pas à dire ce qu'elle pense. Curieux mais bon, c'est Tamari quoi. Sinon elle a quand même changé depuis le jour où Steve est mort sous ses yeux. Enfin... Je...

Mon histoire... Il n'y a pas grand chose à dire. Je peux vous faire un bref résumé et ensuite vous présenter quelques uns des moments les plus importants de la vie si vous voulez. Je suis donc née un 31 Août il y a maintenant quinze ans dans une petite maison du District Dix. Mes parents avaient déjà un autre enfant : mon frère de deux ans mon aîné, Steve. Physiquement nous nous ressemblions beaucoup mais nous n'avions pas du tout le même caractère. Cinq ans plus tard une petite soeur nommée Clara nous rejoignit. Notre enfance à tous les trois fut plutôt calme : on entra à l'école pendant que nos parents travaillaient dans les champs de coton du district, nous obtenions des notes moyennes si ce n'est bonnes, nous n'étions ni réellement heureux ni vraiment malheureux, plutôt dans la moyenne... Bref une enfance plutôt paisible et calme. Chaque année nous évitions de regarder les Hunger Games, cette abomination inventée par le Capitole. Et puis vint ce jour assez funeste...



Ces mots résonnent dans le District Dix. J'étais plutôt confiante : cette année encore ni Steve ni moi ne serions piochés. Clara était, quand à elle, trop jeune pour ça. Je n'avais que cinq papiers et mon frère en avait sept. N'ayant jamais pris de Tesserae nous n'étions pas à plaindre. Je regardais donc droit devant moi, tentant d'ignorer ceux qui tremblaient non loin, leur nom se retrouvant inscrit de nombreuses fois pour ces Jeux. Il y a des milliers de papiers dans cette urne, nous ne serons pas tirés, pas avec nos cinq et sept papiers respectifs.

Le coeur battant je regardai la femme s'approcher de l'urne des filles et tirer un papier. Je retins mon souffle, même en me sachant quasiment hors de danger. Elle lit le nom. Ce n'est pas le mien mais celui d'une fille de 14 ans. Celle-ci éclata en sanglots après une bonne minute de silence et s'avança finalement vers l'estrade. La dame passa alors aux garçons. Je regarde avec une pointe d'angoisse sa main fouiller parmis les papiers. Steve n'en a que sept... Sept seulement. Enfin elle en tira un et le déplia lentement, laissant apparemment durer le suspens.




C'était il y a un petit bout de temps maintenant, deux ans pour être exacte. Nous étions sur le canapé en train de fixer le minuscule écran qui nous tenait lieu de télévision. Les Hunger Games allaient débuter en direct dans les trois prochaines minutes. Près de moi je sentais ma mère trembler. Quoi de plus étonnant ? Steve y participait. A seize ans il avait été choisi et, bien entendu, personne ne s'était porté volontaire pour prendre sa place. D'habitude nous ne regardions jamais ces Jeux de la Faim, c'était tout simplement trop horrible pour qu'on en soit le public. Mais cette année c'était différent. Mes parents, ma petite soeur Clara et moi même étions donc plus que tendus, désespérés mais obligés d'assister aux débuts des jeux. Steve devait encore atteindre la forêt sans se faire tuer dés le début, ce n'était pas gagné.

Lorsqu'un présentateur annonça que le début des jeux approchait, que bientôt les tributs apparaîtraient et se précipiteraient vers la Corne d'Abondance, je sentis mon coeur s'accélérer et je me rongeai les ongles, sentant Clara se coller à moi. Maman étouffa un petit gémissement d'angoisse et Papa s'appuya sur le dossier du canapé, se passant nerveusement la main dans les cheveux. Il ne pouvait pas mourir comme ça, pas maintenant, pas pour le Capitole et ses jeux stupides... C'était tout simplement impossible. Impossible ! Je me penchai en avant, sentant une goutte de sueur me couler dans le dos. Steve ne mourrait pas : il avait toujours couru vite, il était intelligent, vif... Il pouvait atteindre la forêt sans encombre et se dissimuler le plus longtemps possible... Oui ça se passerait sans aucun doute comme ça. Je savais que je me rassurais comme je le pouvais, que, peut-être, rien ne se passerait comme ça, qu'il partirait peut-être trop tôt et se ferait... Éliminer ? Les battements de mon coeur augmentèrent encore d'un cran, me faisant penser à ceux d'un oiseau. Enfin les tributs apparurent, tous dans une tenue identique. Je cherchai frénétiquement Steve, les passant tous en revue. Là ! Ceux du District 10. Une caméra montra chacun des visages en gros plan. Moi qui m'attendait à voir mon frère énervé, stressé... Non il était calme, concentré, attentif. Plantant les doigts dans la mousse du vieux canapé de la maison familiale je me penchai légèrement en avant, tendue comme jamais.

Et enfin, après trois minutes plutôt stressantes à fixer intensément le petit écran de la télévision, les Tributs s’élancèrent. Clara fit un commentaire, sa voix aiguë tremblant comme pas possible, mais je ne l'entendis pas, trop concentrée sur le spectacle qui se déroulait sous nos yeux. C'était rapide, très rapide. La caméra montrait chacun des Tributs tour à tour. Plusieurs moururent en voulant atteindre la Corne d'Abondance et les nombreuses armes qui s'y trouvaient mais je n'y fis pas vraiment attention, attendant de voir Steve apparaître. Enfin il occupa l'écran, courant comme un dératé vers les bois environnants. Il se saisit au vol d'un sac, ralentissant à peine sa course. Je commençai alors à me détendre. Il atteindrait la forêt et la sécurité qu'elle lui apporterait. Il survivrait, du moins pour le moment. J'allais donc me laisser aller contre le dossier du canapé, respirant pour la première fois depuis cinq bonnes minutes, lorsque mon frère fut de nouveau le centre d'attention. Enfin lui et un gars du District 1. Ce dernier tenait une espèce de machette qu'il brandit dans le dos de Steve. Il frappa. A plusieurs reprises. Encore et encore. Encore et toujours. Le sang occupait tout l'espace. Steve. Lacéré. Mort. A la télévision le jeu se poursuivit comme si de rien était mais, ici, dans notre petit salon du District 10, quelque chose s'était arrêté. Moi ? Je ne disais rien, n'entendais rien, ne pensais rien, ne faisais rien. Le coeur battant je restai immobile, voyant sans voir les images se succéder à l'écran. Le Bain de Sang ? Steve y était passé. A coup de machette. Je finis par me lever comme une automate et quittai en vitesse la maison. A peine eus-je franchi le palier que je vomis tout ce que mon estomac contenait dans les pâquerettes qui couvraient le sol. Haletante je me pris la tête entre les mains et fis quelques pas désordonnés. Bizarrement je n'avais pas envie de pleurer ni rien. Juste de rester planter là, le vent caressant mon visage, ne rien dire, ne rien penser... Surtout ne rien penser. Ne plus jamais penser. Steve. Steve était... Non. Le Capitole l'avait pris. Derrière moi ma soeur pleurait, ma mère gémissait et mon père ne disait rien. Je finis par m'agenouiller lentement, ne sachant que faire. Comment régir à... Ça ? La nuit tombait petit à petit. Les étoiles... Oui je pouvais faire ça. Lentement je m'allongeai dans l'herbe qui bordait la maison, les yeux passant d'étoile en étoile. Les astres piquetant le ciel... Steve et moi avions l'habitude de les regarder ensembles les soirs d'été. En le faisant au crépuscule de sa mort... C'était une façon personnelle de lui rendre hommage. Un seul mot finit par franchir mes lèvres.




Ensuite le temps passa. Je n'étais pas vraiment malheureuse mais je n'étais pas non plus heureuse. Simplement j'évitais de penser à Steve, aux Hunger Games, à la fatalité qui frappait n'importe qui n'importe quand et qui arrachait sans vergogne des gens à leur famille pour les envoyer se faire massacrer dans une arène. Un mois passa et je tentai de ne pas y penser, ignorant les mots de condoléances des gens du village. Un an passa et je me contentai de lui rendre hommage en regardant les étoiles, lui qui les aimait tant. Un an passa et rien n'avait changé si ce n'est qu'il n'était plus là. Je continuai finalement à étudier, à ramener des notes, le travail devenant une activité à plein temps pour ne pas penser à tout ça. Et en même temps, au fond de moi, une sourde colère montait, ayant pour cible le Capitole et ses Jeux maudits.