Après des débuts laborieux, je m’habitue à mettre un pied devant l’autre, et retrouve un rythme digne de ce nom. L’effort fait circuler le sang dans mes veines et tend à me réchauffer un peu. Je retrouve peu à peu mes réflexes et ma dextérité. J’arrête de trébucher toutes les trois secondes et avance d’autant plus vite. Le problème est que mes paupières sont aussi lourdes que du plomb, et j’ai du mal à garder les yeux ouverts. Un épais brouillard persiste à voiler mon cerveau. Me voilà prisonnier de mes propres pensées. De mes démons les plus profondément cachés. Et je suis seul pour leur tenir tête. Irrémédiablement seul. Plus je retrouve mes esprits, plus je réalise la profondeur du bourbier dans lequel je m’enfonce. J’ai déserté le clan des Carrières de mon propre chef. Inutile d’espérer y retourner. Les Tributs du Deux ne se sont pas encore lancés à ma recherche ; ou du moins n’ont-ils pas retrouvé ma trace. Dans un cas comme dans l’autre, le jour où je croiserai de nouveau leur route, ils me tomberont dessus. Quand ils se rendront compte de la supercherie, ils prendront ma désertion pour ce qu’elle est. Une trahison. Même si je revenais sur ma décision, les Carrières ne m’accepteraient plus parmi eux. Même si je revenais les mains pleines de gibier pour donner le change. Jamais ils ne me croiraient. Je n’ai pas réussi à gagner la confiance d’Ashe. Quant à Alex, il est bien trop méfiant. Les Jeux l’ont changé. Ce n’est pas le type que j’ai connu en-dehors de l’arène. C’est presque normal, comme réaction. Toujours est-il que je préfère l’éviter autant que possible.
Obéissant à mes pensées informulées, mes jambes accélèrent le mouvement, presque d’elles-mêmes. Mon objectif est de mettre autant de distance que possible entre moi et les assassins. Le problème, c’est que je suis peut-être en train de me précipiter droit dans la gueule ouverte d’une autre alliance. Nous ne sommes plus qu’une dizaine. Forcément, les meurtres perpétrés les jours précédents ont brisé des coalitions. Comme celle de la petite brune, par exemple. J’ai moi-même mis fin à l’existence de son équipière. Je ne suis donc pas le seul Tribut à me promener seul au sein de l’arène. Il y en a au moins une autre. Deux jours se sont déjà écoulés. A ce stade du jeu, impossible de s’allier à qui que ce soit. Les derniers survivants craignent de plus en plus pour leur vie. S’ils croisent un autre Tribut, ils ne vont pas tenter de sympathiser. Ils vont le tuer. Un cadavre, c’est un pas de plus vers la sortie. Il faudrait être suicidaire pour faire confiance à un autre individu. Je n’ai donc pas la moindre chance de trouver une marionnette pour m’épauler le temps de renverser la situation. Les Carrières ont forgé leur réputation au fil des années. Aujourd’hui, on les craint beaucoup trop pour leur faire confiance. Personne ne pense que s’allier à un Carrière, c’est prendre un ticket direct pour la finale. Non. Aux yeux de tous, s’allier à un habitant du Un, du Deux ou du Quatre, c’est surtout le meilleur moyen de finir en morceaux. Je ne peux que leur donner raison. Mais toutes les alliances fonctionnent sur le même principe. On forme des groupes pour avancer sûrement, se donner le sentiment d’être plus forts. On survit un peu plus longtemps. Mais à un moment donné, tout s’effondre. Parce qu’il n’y a qu’une place de vainqueur. S’allier à un Tribut de Carrière ou un pouilleux, ça revient au même. L’histoire s’achève dans la mort.
J’ai toujours apprécié la solitude. Le calme et le silence sont propices à la réflexion. Etre seul ne me dérange pas le moins du monde. Je peux en profiter pour mettre au point deux ou trois stratagèmes visant à obtenir ce que je veux. Mais ma nouvelle liberté commence déjà à me peser. Je ne suis pas tranquille. Je ne peux pas me permettre de m’asseoir tranquillement au pied d’un arbre pour me trouver un nouvel objectif. Je ne peux pas songer à attendre la mort sans rien faire. Je suis obligé d’avancer. D’aller de l’avant, sans me retourner. Sans m’arrêter. Je dois bouger. Je dois le faire pour me sentir en vie. Un sentiment dont je dois profiter maintenant. Autrement, je risquerais bien de ne plus jamais en avoir l’occasion. Je sens que, quelque part au niveau de mon estomac, des flammes noires tentent de me ronger de l’intérieur. Rien à voir avec la nourriture que j’ai ingurgitée ces dernières heures. C’est le doute qui m’habite. Qui me dévore. Ai-je vraiment fait le bon choix ? J’étais pourtant certain de ne plus pouvoir avancer aux côtés des deux autres Carrières. Ils auraient fini par se retourner contre moi. Au final, si j’étais resté dans la forêt, je me serais probablement senti aussi seul que maintenant. Avec la très nette impression d’être seul face au reste de l’arène. Je me raccroche à cette idée aussi fermement que possible. Bien sûr que j’ai pris la bonne décision. Je ne pouvais plus compter que sur moi-même, de toute manière. Malgré tout, quelque chose me souffle qu’elle n’est pas plus tangible que du vent.
L’éternité de mon périple prend fin alors que j’atteins la lisière du bois. Je me fais l’effet d’un aveugle qui recouvre miraculeusement la vue. La clarté du jour m’éblouit. Je plisse les yeux pour tenter de supporter la lumière de ce nouveau jour. Le soleil brille déjà haut dans le ciel, déchirant les maigres nuages qui s’y sont perdus. Je détourne les yeux en direction du sol, et le regrette aussitôt. Le soleil baigne l’étendue neigeuse de ses blancs rayons, qui se reflètent sur la surface froide. La luminosité du paysage m’est douloureuse et difficile à soutenir. Je préfère garder les yeux rivés sur l’horizon, pour m’épargner d’inutiles larmes. Je vois de moins en moins l’intérêt d’avoir pourvu le ciel de cet astre factice. L’ampoule est tout juste bonne à nous éclairer durant la journée, pour peu qu’on ne se soit pas égaré dans la forêt. Mais la lumière ne donne même pas l’illusion de réchauffer l’atmosphère. La neige dure gèlera éternellement le sol de l’arène de la seizième édition. Rien ne semble capable de la faire fondre. Surtout pas cette boule de lumière plus affligeante qu’autre chose.
Cette remarque entame un peu plus ma motivation. Je sens bien que mon moral faiblit au fil du temps. J’ignore si c’est dû à mon tout nouveau rôle de tête à abattre. Le fait est que j’ai le reste des candidats à dos. Je ne vais pouvoir me reposer sur personne. Désormais, je ne peux compter que sur moi-même. Je pensais que ce serait un poids plus léger à porter. Mais je me suis habitué à me servir des autres pour parvenir à mes fins. Mine de rien, c’est étrange de sentir qu’on est livré à soi-même. Je pensais que ce sentiment de faiblesse et d’impuissance était réservé aux Tributs provenant des Districts miteux et pauvres. Eux ne sont pas certains de trouver un soutien dans l’arène, ni même à l’extérieur. Faibles et sans défense, on les propulse néanmoins au cœur d’une boucherie organisée et suivie par des millions de personnes. Et c’est dans cet état d’esprit qu’ils débarquent au pied de la Corne. Et qu’ils décident de survivre. Comment peut-on se voiler la face à ce point ? Comment peut-on réellement espérer s’en sortir en un seul morceau lorsqu’on est seul contre tous ? Il y a bien un moment où même l’idiot doit ouvrir les yeux. Ne serait-ce que pour mourir la tête haute. On ne peut pas s’en sortir seul. Autrement, jamais le système des alliances n’aurait vu le jour. A moins d’être un véritable miraculé, on ne peut pas éternellement passer entre les gouttes. Les autres Tributs peuvent s’entre-tuer autant qu’ils le souhaitent, ils ne peuvent pas nous laisser tranquille jusqu’à la fin des Jeux. On est forcément amenés à prendre part à un combat, tôt ou tard. Un combat que l’on doit mener seul, face aux alliances formées au Capitole. Et jamais je ne pensais pouvoir me sentir pris au piège dans cette arène sournoise. De Carrière intouchable, je suis passé, en l’espace de quelques minutes, à l’état d’ennemi public numéro un. Du moins, c’est l’impression que j’ai. Pour le moment, personne n’est censé savoir que j’ai abandonné mes partenaires. Mais il suffit qu’un Tribut surprenne les Carrières du Deux ou se retrouve face à moi pour que la vérité éclate au grand jour. Etant donné que l’affaire est récente, je peux encore profiter de l’effet de surprise. Mais pour combien de temps encore ? Combien de temps mettront-ils à réaliser que je suis une cible parfaite ? Un Carrière qui a explosé le score lors de son passage devant les juges et qui progresse seul va forcément attirer les derniers Tributs, comme la lumière attire les insectes. Si on voit les choses de cette façon, je n’ai aucune chance de m’en tirer. Mais je reste un Carrière. J’ai de nombreuses années d’entraînement derrière moi. Je suis armé jusqu’aux dents, et sais parfaitement me servir de l’arsenal offert par mes généreux sponsors. Pour ne rien gâcher, je sais faire en sorte d’avoir un temps d’avance en toutes circonstances. Dès que je serai un peu plus réveillé, mes cellules grises reprendront du service. Ne me reste plus qu’à espérer que personne ne s’en prenne à moi d’ici là.
Les alentours sont déserts. Pas âme qui vive. Nous sommes trop peu nombreux. A moins que les juges ne décident d’intervenir, nous ne sommes pas prêts de nous croiser. Je m’attends à ce qu’on nous réunisse dans la journée. La matinée fera bien deux victimes supplémentaires. Et l’étau se resserrera davantage. Les juges auront tout le loisir d’organiser le banquet des retrouvailles. Nous ne serons plus que huit. A l’extérieur, on dépêchera des équipes de journalistes pour interviewer les proches des derniers survivants. Et le reste du pays sera scotché devant les écrans géants, attendant de voir qui sortira vivant du banquet funéraire. Je me demande ce que les juges prévoiront à mon intention. Je n’ai pas l’impression de manquer de quoi que ce soit. Peut-être d’un peu de confiance en moi. Mais c’est seulement parce que j’ai les nerfs en compote. La faute au manque de sommeil. Je n’espère même pas trouver l’occasion de faire une sieste dans la journée. Je me connais. Je suis bien trop paranoïaque pour me laisser aller. La nuit à venir risque d’être le prolongement d’un long cauchemar. Mais je suis prêt à tout pour ne pas mourir. Garder les yeux ouverts n’est qu’une formalité.
Comme un automate, je poursuis ma route, traçant un sillon parfaitement visible dans l’épaisse couche de neige. J’avance en prenant soin de me poser le moins de questions possible. Je ne sais pas où je vais. Au fond, je ne suis pas sûr de vouloir connaître la destination choisie par mes pieds congelés. Je préfère ne plus réfléchir. M’abandonner au néant. Je m’étonne moi-même de cette absence de volonté soudaine. Si j’étais dans mon état normal, je prendrais le temps de réfléchir. J’analyserais la situation, tenterais de reconnaître les lieux, pour déceler les cachettes les plus probables. Las de tout, je me contente de mettre un pied devant l’autre, sans réfléchir aux conséquences de mon geste. Je ne veux plus chasser les Tributs. Je veux qu’ils viennent à moi. Je veux que notre rencontre soit purement fortuite. Et je serai le premier à réagir. Le premier à sauter sur l’autre. Le premier à dégainer mon arme. Le seul à rester debout.
Je secoue mollement la tête. Il faut que j’arrête de rêver. Les rêves sont faits pour garder espoir. Ils sont une barrière nous séparant de la mort. Mais ils ne se réalisent jamais. Ils ne sont qu’une source de motivation, et non une destinée toute écrite. Car s’ils venaient à s’accomplir, nous n’aurions plus aucune raison de nous accrocher à la vie. Alors, au lieu de perdre son temps à confondre rêves et réalité, il faut faire des choses concrètes. Agir. Il n’y a que de cette façon que nous changeons les choses. Que nous avançons réellement. Et c’est ce que je dois faire pour le moment. Alors je lutte contre la soudaine envie de faire une pause, et continue mon chemin, presque nonchalamment, comme si je ne craignais rien. Comme si je me sentais réellement à l’abri de toute menace. En fait, je commence à avoir les idées plus claires. Et c’est mauvais signe. Car l’appréhension tente de nouveau de s’emparer de moi. De tout mon être. Je serre un peu plus fort mon sabre entre mes doigts. Sans même m’en rendre compte, je ralentis le pas, prenant garde à me faire aussi silencieux que possible. Juste assez pour rester à l’écoute du moindre bruit suspect. Précaution sans doute inutile. Il n’y a pas l’ombre d’une silhouette humaine dans les environs.
Je m'excuse auprès de tous ceux qui auront essayé de lire ces lignes T.T J'ai écrit beaucoup de caca dans ma vie, mais je crois avoir touché le fond =X J'essaye de me rattraper pour la suite ><' Pour info, Zed se trouve quelque part entre la Forêt Est et les Pentes du Volcan
Dernière édition par F. Zadig Nichoelson le Sam 30 Nov - 14:18, édité 1 fois
Jonathan Templebar
+ District Trois +
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Sujet: Re: Lone Walker. [simple passage] Mar 26 Nov - 19:43
Ce n’est pas l’ombre d’une silhouette humaine qui se dessine sur la neige blanche mais celle d’un objet volant ballotté par le vent. Une toile argentée qui brille dans le soleil lorsqu’on lève les yeux, une tâche noire indécise lorsqu’on les baisse. Arrivé à la hauteur du tribut du Un, le parachute émet un ‘bip’ pour signaler sa présence, et échoit juste aux pieds du carrière, pour finir une trajectoire calculée au millimètre. Il y a là, s’enfonçant légèrement dans la poudreuse, un grand sac à dos et un paquet de vingt grammes de bonbons. Et un message dactylographié sur une bande de papier : « Je ne voulais pas attirer l'attention sur toi, tu es mon favoris, c'est pour cette raison que j'en envoi à tout le monde. Si tu reviens, je finance ton mariage. Fais moi confiance. -N.L »