C'est drôle, cette manie que les gens ont lorsqu'un proche meurt. Il ne nous quitte pas, il ne s'en va pas dans un monde meilleur - quoique vu le monde où l'on vit, ça ne m'étonnerait pas que partout ailleurs les choses soient fantastiques - et ne se transforme pas en créature ailée tout droit venue d'un mythe. Il meurt, c'est tout, point, pas de suite, il meurt quoi. La mort n'est pas une chose particulièrement amusante, à moins bien sûr d'être un être humain démuni de toute pitié et probablement de cœur - en autres les habitants du Capitole. Une fête, un rassemblement de proches donc, est généralement organisé pour un événement particulier, dans le but de célébrer quelque chose. Alors je trouve ça plutôt ironique, et totalement dépourvu de sens avouons-le, d'organiser un enterrement. Que cherche-t-on à obtenir au juste ? Qu'espérons-nous ? Que le mort, finalement très content qu'on lui organise une petite fête en son honneur, renaisse tel un phénix de ses cendres ? Non, évidemment, lui s'en fiche. Il s'en fiche puisqu'il mort, et que désormais il est au fond d'un trou, dans la terre, en compagnie d'une joyeuse bande de lombrics. Fantastique. Alors pourquoi tant de cérémonie ? Probablement parce qu'on est tous faibles, démunis face à la mort. Alors on se soutient moralement. Une tape dans le dos, ça ira mon gars. Une main dans les cheveux, t'es courageuse petite. Et puis la tombe se vide, chacun repart à ses occupations, et on oublie, petit à petit. On oublie le mort. On oublie les proches. On oublie la tape dans le dos, et la main dans les cheveux. On oublie.


Je me souviens bien du jour où elle est morte. Ou plutôt du jour où je l'ai retrouvé morte. J'avais huit ans. Pas besoin d'être un génie pour comprendre que ça fait donc neuf ans qu'elle repose dans son trou, sous sa tombe. Je rentrais de l'école, la journée s'était déroulée comme toutes les autres qui l'avaient précédé. Mon père rentrait toujours plus tard de la boucherie, mais ma mère avait toujours fait l'effort de revenir plus tôt, pour m'accueillir à mon retour. Ce jour-là, j'ai toute suite su que quelque chose n'allait pas, pas que j'ai une intuition hors du commun. Le silence régnait dans la maison. Pas de casserole fumante, ni d'odeur alléchante du repas du soir que maman préparait minutieusement. Rien. Juste cet affreux silence inquiétant. Mes pas grinçaient dans l'escalier, et ma mère ne répondait pas à mes appels. J'ai d'abord pensé qu'elle dormait lorsque je l'ai vu, étendue sur les draps du lit parental. Elle avait l'air paisible. Je me souviens de la froideur de sa peau, de son regard vide fixant le plafond. Je me souviens ne pas l'avoir reconnue. Si pâle, si fragile, si... morte. Arrêt cardiaque, probablement, du moins c'est ce que pensait les médecins. Je n'ai pas pleuré, jamais. Je suis resté allongée près d'elle, fixant à mon tour le vide. Mon père est revenu tard le soir. Il m'a vu, il l'a vu. Puis je me souviens qu'il m'ait murmuré des paroles de réconfort. Il m'a serré dans les bras. Puis il a pleuré toute la nuit. Je le sais, je l'ai entendu. Moi ? Mes yeux sont restés aussi secs qu'un désert. J'avais cette boule coincée dans la gorge, elle m'empêchait de respirer, je suffoquais, j'étouffais, mais je ne voulais pas verser une seule larme. Parce que ma mère était une femme forte, qui avait horreur de la pitié, et pleurer était la dernière chose qu'elle aurait souhaité.


Deux choix s'offraient à moi. Le premier était de me lamenter sur mon sort. Le deuxième était d'agir. Aucun suspense, j'ai évidement opté pour le dernier choix. C'est donc à partir de là que j'ai commencé à voler. D'abord juste un fruit, pour ne pas éveiller les soupçons, et surtout parce que j'étais encore jeune, et redoutait fortement la punition d'un tel acte. Puis j'ai finis par acquérir une sorte d'expérience dans le domaine. J'avais pour réputation d'être une voleuse, une sauvage, sans loi ni morale. Mon père ne pouvait pas être le seul à faire des heures supplémentaires. Je l'aidais à ma façon. J'alternais mes "emplettes" et mon travail à la boucherie. Mon père dit que je suis douée dans ce que je fais, couper les viandes, mais jamais il ne laisse me charger de l'accueil des clients. Je suis bien trop renfermée et impatiente pour accueillir chaleureusement qui que ce soit. Il m'arrive souvent de devoir prendre des tesseraes, malgré l'interdiction de mon père. Il refuse catégoriquement, évidemment c'est son boulot de père, mais au final nous sommes tous les deux bien contents lorsqu'on reçoit un peu de nourriture en plus. Je crains les Hunger Games. Comme la majorité des habitants de mon district d'ailleurs. Mais si je devais être prise, j’avancerais la tête haute, sans pleurnicher pitoyablement. Je ne suis pas une carrière entraînée, ni une pêcheuse hors-paire, ou encore moins une manieuse de haches tranchantes. Mais je suis rapide et sait me faire discrète - peut-être que mes activités illégales ont plus de bons que je ne le pense - et les heures passées à la boucherie m'ont permis de savoir faire quelques trucs sympas avec les couteaux et des petites hachettes. Je sais que ce n'est pas grand chose, mais je ne suis pas inquiète. Quel est le pourcentage de chance que mon nom soit tiré à la Moisson ? Faible. Il est extrêmement faible. Je suis confiante.