Je suis orphelin, déscolarisé et vendeur de drogues.
L’avantage de cette description est que vous ne me prendrez pas en pitié lorsque je vous expliquerai quelle est ma vie. C’est marrant : je ne mériterais aucune compassion parce que j’ai décidé de creuser mon trou à travers le délit plutôt que le travail honnête. Que celui qui n’a jamais pêché jette la première pierre ! Je ne vous cacherai pas que je connais le caractère frauduleux de mon activité.
Seulement, moi, j’ai vu les dégâts d’un travail honnête. Avouons tout de suite : ma situation est des plus classiques et inintéressantes. Je pourrais vous parler de mes parents, ou du moins, ce que j’en sais, puisque je n’ai jamais vu mon père. C’est ma mère qui m’a appelé Hermès, prénom au travers duquel on devine sans peine qu’elle était instruite. Elle venait d’une famille plutôt aisée du District quand mon père a dû se débrouiller toute sa vie au travers de l’école. Auraient-ils pu compter sur ma branche maternelle pour avoir une existence qui vaille le coup de s’accrocher ? Je pense qu’ils ne se sont jamais réellement fait d’illusions : leur relation mise à jour, le classique ultimatum fut posé à ma mère. Dans un conte de fées, ma mère aurait dit oui ; si Panem avait pu ressembler au Royaume du joli Prince Charmant… non, en fait, dans n’importe quel monde, cette règle semblait être respectée. Dans tous les cas, une histoire parfaite aurait fait accepter ma mère et ils auraient été pauvres, mais heureux.
Comme vous devez vous en douter, ma mère a refusé. A-t-elle eu peur de se mettre sa famille à dos ? Face à la réalité, bien trop souvent, la réaction était à la fois inexplicable et trop explicable. Dans tous les cas, je ne la blâme pas de son choix, puisqu’elle a eu raison de profiter d’une situation plus confortable. Je dis bien plus, parce qu’imaginez pas cette famille vivre dans un manoir magnifique, riche et décoré. Voyez par « situation aisée » une famille capable de manger trois fois par jour. Peut-être pas de tesserae, mais nous sommes à Panem : le travail dur dans les usines de transport éreintait mes grands parents, peut-être plus rémunéré que la moyenne mais sûrement pas assez pour l’effort fourni…
Je vous ai parlé d’un père… Comme vous l’avez donc deviné, cet homme que ma mère avait fréquenté lui donna un fils. Moi, en l’occurrence. Mais par son choix, elle avait décidé de couper tout contact avec lui : je ne l’ai donc jamais vu. Elle ne m’en a même jamais parlé. En vérité, elle n’avait que seize ans quand je suis né… elle était si jeune… trop jeune… Et je pense pouvoir affirmer sans peine que sa séparation forcée, le stress des Moissons, ma naissance, une certaine émotivité… l’ont conduite à l’alcool peu de mois après que j’ai vu le jour. Alors que moi je vivais de plus en plus, elle se mourrait à petit feu.

« Diane… ma fille s’appellera Diane. »

Et vous saviez quoi ? A notre surprise générale, elle a mis au monde un second enfant. Une sœur. J’ai une sœur, de trois ans ma cadette… Et personne n’a jamais su qui est son père puisque suite à sa naissance, ma mère s’est plongée dans un mutisme qui dura jusqu’à la fin de sa vie. Ce furent donc mes grands parents qui nous prirent en charge, ma sœur Diane et moi, puisqu’elle ne pouvait plus rien assumer. Le malheur, c’était la seule chose que je n’ai jamais pue lire dans ses yeux. Et un jour, on l’a retrouvée morte dans la rue, à moitié étouffée par l’alcool et le vomi, à moitié gelée par le froid.

« Je vous prie d’accepter nos plus sincères condoléances… »

Oui, c’est pitoyablement inintéressant comme histoire parce que des tragédies, on en vit tous dans les Districts de Panem. J’aurais, réellement, adoré vous raconter une histoire magnifique.
J’ai passé mes journées avec ma petite sœur, puisque mes grands parents se tuaient au travail. Ils étaient là pour nous, mais seulement tard le soir. Jusqu’à mon entrée à l’école, j’ai joué, discuté, grondé mais surtout aimé. C’est ma sœur et, si j’ai vite découvert que nous avions deux caractères très trempés qui n’a pas toujours fait bon ménage. Mais c’est normal, après tout.
Quand l’école a commencé, ce n’était pas forcément long. J’ai bien aimé l’école, même si tout a toujours tourné autour des usines de transport. Et ça, ça m’a ennuyé. Voir mes grands parents se fatiguer sans pause au travail m’a dégoûté. Je n’aime pas ça, voilà tout : mais au District Six, on construit des trains, des hovercrafts, des voitures… A nous de choisir où entrer, et encore ! Moi, je n’en ai vite pas voulu.

« Aujourd’hui, étudions un peu les premiers grands chefs d’entreprise du District Six. »

Pourtant, j’ai fait plaisir à mes grands parents les premières années, le temps d’apprendre à lire, écrire, compter, et à mettre toute ma classe au tapis dans ces domaines là. Et quand ça commençait à n’être réellement plus que de la propagande capitoléenne ou du travail d’usine… Je ne me suis rendu que de temps à autre à l’école, juste assez pour faire acte de présence et que le professeur ne prévienne pas mes grands parents. Beaucoup d’enfants commencent tôt à travailler pour subvenir aux besoins de leurs familles.
D’abord, mes absences ont été rares et j’ai flâné dans les rues, mes actes ont été innocents. Je suis même souvent venu à l’école juste dans le but de surveiller Diane de loin, que personne ne lui fasse de mal. Quand elle a eu des ennuis, deux ou trois fois, le garçon repartait très mal en point. J’ai une tendance terrible à m’emporter quand il s’agit d’elle, parce que c’est ma petite sœur. Ca l’a un jour tellement énervé qu’elle m’a demandé d’arrêter, qu’elle était assez grande pour se débrouiller seule… j’avais quatorze ans. C’est à cet instant que mon temps passé à l’école se réduisit considérablement.
Mon grand père est tombé malade. Et, à cause de la fatigue, il n’a pas réussi à tenir le combat. L’amour que lui portait ma grand-mère était tel que, six mois après sa mort, elle a arrêté de travailler. Sans se suicider, je crois qu’elle avait réellement envie de mourir. Mais ma sœur l’a aidée à tenir… elles s’appréciaient beaucoup. Ma grand-mère a tenu pour ma sœur, et moi j’ai tenu pour elles deux.

« Tu as faim, gamin ? T'es pas le seul. Mais ne t'avise surtout plus de tenter de me voler ou ça va très mal finir pour toi. J'ai aucune honte à appeler les Pacificateurs. »

Sauf que l’on n’avait plus aucun moyen de manger. Je m’en suis chargé. Je leur ai assuré de ne pas s’inquiéter, que je comptais me mettre au travail… et j’ai trouvé mieux qu’un travail en usine. J’ai toujours refusé de rentrer dans la norme du Capitole et de me mettre dans une chaîne. Alors, j’ai pris des Tesserae et j’ai volé, essuyant d'abord d'insupportables échecs. J’ai commencé à dérober de la nourriture à mes quinze ans, ce qui est classique. Je vous avais ditque ma vie était des plus classiques, hein. Des gamins qui crèvent de faim et meurent, c'est commun. Des fois même qu'ils meurent exécutés, embellissant les rumeurs. Sauf que mon avantage est que l’on ne m’a jamais attrapé. Mais réellement, jamais, parce que je me suis durement entraîné avant de commencer. Je ne pouvais pas risquer de mourir, d’être exécuté, et d’abandonner Diane. Non…

« Tu as vu, Hermès ? On dit qu’il y a un voleur dans le District que les Pacificateurs n’arrivent pas à attraper. J’espère que ça ne durera pas. »

J’allais toujours au minimum syndical à l’école mais ce n’était plus pareil. Mes notes planaient au dessus des pâquerettes, et je faisais le minimum d’acte de présence. Diane me l’a d’ailleurs souvent reproché, elle qui est pourtant une élève des plus modèles… mais c’était ainsi. J’étais plus concerné par notre futur proche et elle par son avenir. Et je l’ai toujours laissée faire, je ne le lui ai jamais reproché, mais cette vie d’études n’est sûrement pas pour moi. Moi, je me contente de ramener à manger à la maison.
Seulement, rapidement, les quelques efficaces techniques de vol furent déjouées par les commerçants. Ca commençait à devenir risqué, trop risqué, et il me fallait trouver autre chose. Une fois… j’ai manqué une fois de très peu de me faire attraper. J’ai eu une peur bleue, ce jour-là. J’ai poussé mes recherches et j’ai trouvé.
C’est ainsi que j’ai commencé à trafiquer de la drogue.
Ca s’est fait naturellement. Pour moi, ce n’était rien de plus qu’un moyen de m’en sortir, alors je l’ai utilisé. Je n’ai jamais consommé… Je dois dire que je m’y suis plutôt bien plu. Connu sous le nom du « Voleur », j’ai pu développer une certaine arrogance, confiance en moi, ma langue acérée… j’ai gagné du respect. Je suis monté dans les rangs. Ca marchait bien… Et Diane s’est remise à sourire. Elle a pu continuer ses études tranquillement. Tout allait mieux. Dans le meilleur des mondes.
Euh… non. Dans mon arrogance, j’ai sous-estimé l’intelligence de ma sœur. J’ai oublié qu’elle était la seule à me connaître. Un jour, Diane a découvert ce que je faisais. Je ne travaillais pas dans une usine comme elle le croyait. Cela s’est passé il y a six mois de cela, elle a su la vérité. Ce que j’ai vécu… J’ai ressenti de la honte, pour la première fois de ma vie. Réduit dans un silence que je ne connaissais pas, perturbé, je me suis tenu devant elle immobile. Elle a hurlé, pleuré, parlé de trahison et d’irrespect.

« Ne t’avise JAMAIS plus de m’approcher ! Fais ce que je tu veux mais sache juste que de mon côté, tu es définitivement exclu de ma vie. »

Je l’ai écoutée. J’ai écouté ma petite sœur. Et je suis parti.
J’ai erré seul pendant une semaine. Je n’étais qu’un fantôme, puisque l’on m’avait coupé la seule chose qui ne m’a jamais tenu à la vie. Ma sœur. Que sans elle, je ne suis qu’un être sans but dans la vie. Pendant cette semaine-là, j’ai compris que malgré ses cris, je ne suis pas capable d’abandonner Diane. Que je ne l’écouterai pas.
Depuis lors, nous ne nous sommes plus jamais recroisés. Oh, je n’ai pas arrêté de la surveiller. De loin, je me renseigne, vérifie que sa vie est bien et surtout, j’use de mes influences pour qu’elle n’ait aucun problème. Que personne ne lui fasse rien, elle qui est si fragile…
Moi, de mon côté, j’ai définitivement quitté l’école et gagné de la renommée. Et désormais, je voyage beaucoup faire du « commerce » entre les Districts de la zone Un, les plus riches peut-être, et pourtant leur condition est tout aussi triste que dans le Six. J'aimerais découvrir les autres Districts. Peut-être que si je montais en grade...
Vous voyez ? Je refuse votre pitié, puisque si je suis désormais seul, je l'ai cherché, comme ma très chère sœur me l'a bien fait comprendre. Et Panem... Panem... Le Capitole a tenté de me mettre dans un moule dans lequel je ne rentre pas. Est-ce pour autant de ma faute ? Dans un autre monde, j'aurais assurément pu trouver ma voie. Mais chaque année, c'est un quotidien ordinaire pour les gens honnêtes de mon District (et des autres, à n'en pas douter) : Moisson, Travail, Tesserae, Tournée des Vainqueurs, Travail. Travail. Peur. Fatigue. Et je refuse.
Je ne me mettrai pas en rang par deux comme le demande les Pacificateurs.