Nous irons par les chemins de traverse….

“Tu es un voyou”. Ca a claqué comme une balle sur le carrelage du salon. “Il n’y a pas de mots pour désigner les gens de ta sorte”. Tu grimaces sous l’insulte. Tu es un couteau, une toupie, c’est ça un couteau. Tu es sa plaie, son bourreau, forgée à la liqueur de ses déceptions, à la lie de ses illusions. Dehors les flaques huileuses de lumière tranche vainement sur la suie qui tombe en flocon lourd sur le sol. La terre depuis longtemps s’est tue, la gorge arrachée par les dents de l’Histoire. Tu observes longuement la fin du monde. Le gris monochrome qui envahit tout et qui t’étouffe jusque dans les salles de classe. Et tu voudrais tant respirer, dépasser les clôtures qui bornent ton monde ou bien tout faire crâmer. Et tu hurles le soir, étouffant le son dans ton oreiller, les larmes aux yeux, aussi brûlantes que des milliers d’incendies.

Par ici les parricides, par ici les parricides...Par ici le sang des pères


" Meurs avant moi, papa !"

Tes jambes tremblent alors que tu l'invectives encore et encore. Tu gémis, ta voix volant vers des aigus paniqués. Coincés dans cette pièce sombre, tu sais que vous ne survivrez pas s'il te vole les maigres rations que tu possèdes. Ton premier acte de survie : le parricide. Puisque les pères ordonnent que le sang des fils soient versés et qu'il faut se soumettre, obéir et se calmer, puisque tout est perdu et ruiné, tu le pousses le plus fort que tu peux, l'alcool fait le reste. Il chancelle et tombe, le crâne fracturé sur le coin de la cheminée. Ce jour-là, tu comprends.

Voici venue la horde hoquetante...Des amis, des damnés…


Il n’y a guère que la lumière des néons, quand tu descends la Veine qui te sort un peu de ta torpeur. Le mauvais alcool et les filles un peu faciles, un peu paumé, un peu comme toi. Vivre vite et crever jeune parce qu’il ne reste plus grand chose qui te raccroche encore ici n’est-ce pas ? Parce que tu as déjà abandonné la partie. Tu traques sur la langue de ta partenaire les traces de son dernier verre. Et tu te réveilles dans un lit inconnu avec la gueule de bois. Tu quittes son étreinte, boucle ta ceinture et tu pars. Tu ne mentionneras jamais plus son nom et vous redeviendrez de parfaites inconnues. C’est le jeu. Dans quelques heures, tu auras déjà oublié son visage, son odeur, ses soupirs sous le sang, la poussière et la merde..

Et parfois, au-dessus de ton breuvage amer, tu t’interroges sur le moment où ta vie à complètement foirée.


Claudiquant en proie à la frayeur de vos nuits
Allant sans yeux, sans visages, sans nom, sans rien !
Des oiseaux de sang à la place des mains

Tesserae. Tu ne comptes plus le nombre de fois où ton nom s'est inscrit sur le papier. Qu'importe, des pauvres gosses comme toi, le district en est plein. Alors, quand la peur t'étreint, il te reste l'espoir. C'est ce que disait Spinoza, n'est-ce pas ? Les deux faces de Janus, indissociables. Tous les ans, tu revêts cette robe aussi sombre que le deuil et tu attends. Chaque année, tu sens le souffle du boulet qui te frôle. Tu vacilles mais jamais ne tombe. Un an encore. A.L.E.K.S.A.N.D.R.A. Ta main a cessé de trember. V.R.A.T.A.S.K.I. Une lettre pour chaque année de ta vie. Tu les regardes s'asseoir devant les écrans géants, dans leur mains des bouchées d'enfance. Tout est dévoré et entre leurs dents, sur leurs gencives passées au fil soyeux de vos vies, tu vois les bûchers et la longue file des sacrificateurs de l'Histoire ordonnant que le sang des fils et des filles soit versé. Et parfois tu fermes les yeux et tu inventes un jardin et tu te forces à regarder une oeuvre d'art à la hauteur du siècle car chaque époque mérite une beauté à la hauteur de ce qu'elle a produit en laideur.


Le temps des revendications est passé.
Voici venu le temps hoquetant. Hic. Hic.
Le hoquet que voilà ne craint pas le sursaut
Ne craint pas la gorgée de sang de gorge égorgée
Ni sursaut ni gorgée ne saurait l'interrompre
Nulle respiration retenue
Voici venu le temps hoquetant

.