Physique - Caractère

Tessa a 26 ans, mais elle en parait beaucoup moins. Elle a toujours été petite et de constitution frêle, à tel point que ses deux grands frères la surnommaient « la crevette » pour la taquiner. Avec ses cheveux blond foncé aux reflets cuivrés, ses yeux noisette, son visage aux rondeurs encore enfantines et ses taches de rousseur, tout le monde la trouve plutôt mignonne, mais l’estime de soi, Tessa ne connaît pas. Non seulement elle est originaire d’une famille de mineurs, l’une des plus pauvres de son district, mais en plus elle a toujours vécu dans l’ombre de ses frères ainés. Grands, beaux, forts, drôles, elle leur vouait une admiration sans borne quand elle était enfant.
Et même après avoir remporté, contre toute attente, les quatrièmes Hunger Games, son estime d’elle-même n’est pas remontée. Au contraire. Maintenant, chaque année elle se sent responsable de la mort de « ses » tributs dans l’arène. Elle a beau essayer, se dire qu’elle ne doit pas s’y attacher, c’est plus fort qu’elle, elle finit par les considérer presque comme ses enfants. Et quand ils meurent, elle est persuadée que c’est de sa faute : elle les a mal préparés, elle n’a pas su leur trouver suffisamment de sponsors… Elle ne supporte pas de croiser ensuite leurs familles et amis dans les rues de son district : elle a l’impression de lire des reproches dans leur regards. Avec les années, ça  commence à en faire des gens à éviter…

Tessa vit donc seule, et reste la plupart du temps au sein du village des vainqueurs, qu’elle ne partage qu’avec sa famille, étant la seule gagnante originaire du Douze. Depuis son retour de l’arène, elle n’a que peu revu ses anciens amis, et s’est même éloignée de sa famille. Ils ne la comprennent plus, ils ne savent pas ce qu’elle a vécu aux Jeux et ne savent pas ce qu’elle vit chaque année en regardant, impuissante, ses tributs périr dans l’arène. Elle s’est condamnée elle-même à une vie de solitude, elle qui était plutôt avenante et avait plusieurs très bons amis dans son enfance.
Elle passe peut-être le plus clair de son temps dans la jolie maison que lui a offerte le Capitole après sa victoire, mais ce n’est pas pour autant qu’elle se sente proche de ces gens. Non, elle tient à rester simple. Elle s’habille toujours en couleurs sombres, pour ne pas détonner des couleurs portées par les habitants « normaux » de son district. Elle a toujours détesté se faire remarquer, et plus encore maintenant.

Au fond d’elle-même, Tessa nourrit une haine profonde à l’égard du Capitole, qui lui a tout pris.

Histoire

Il fut un temps où j’étais encore une jeune fille insouciante. Il est vrai que je n’avais pas la vie facile : la faim et le froid, je connaissais bien. Mais qu’importe, j’étais heureuse. Ma mère m’apprenait à repriser les vêtements et nous arrondissions nos fins de mois en effectuant de petits travaux de couture pour les familles les plus fortunées du district. Mon père me racontait des histoires avant d’aller dormir. Mes frères m’entraînaient dans des grandes parties de cache-cache, quand ils ne m’apprenaient pas à grimper aux arbres ou à fabriquer des lance-pierres.  J’avais quelques très bonnes amies qui rendaient les longues heures d’école beaucoup moins longues et pénibles à supporter. Oui, j’étais heureuse, même si je ne m’en rendais pas toujours compte.

Je me souviens parfaitement du jour où tout à basculé. Je voudrais tellement l’oublier, pour ne garder en mémoire que les bons moments, mais les mauvais souvenirs sont toujours ceux qui vous restent le plus. Le cerveau humain est mal fait.
C’était la veille des quatrième Hunger Games. J’avais 14 ans, et pour la première fois, j’avais pris un tesserae. Les années précédentes, mes frères avaient toujours fait en sorte de ne pas me laisser en prendre, afin de minimiser les risques que je sois tirée au sort. Mais cette année, j’avais insisté. Je n’étais plus une petite fille, je pouvais aider, moi aussi. Est-ce précisément ce tesserae qui a causé ma perte ? On ne le saura jamais.
Toujours est-il que le jour de la moisson des quatrième Hunger Games fut le dernier jour de ma vie. Comme chaque année, j’essayais de me persuader que ce ne serait pas moi qui serait tirée – après tout, il n’y avait que quatre bouts de papier portant mon nom dans l’urne, ce n’était pas beaucoup. Mes frères en avaient bien plus, et jamais le sort ne les avait désignés pour autant.
Et pourtant…
« Le tribut féminin pour ces quatrième Hunger Games est… Tessa Ashton ! »
A cet instant précis, le monde s’est écroulé autour de moi. J’étais incapable de bouger, incapable de parler, incapable de penser. Comme si l’atmosphère s’était refermée autour de moi, me piégeant à l’intérieur. Finalement, je repris mes esprits et m’avançais lentement jusqu’à l’estrade. A ce moment là, je me voyais déjà morte. Comment une crevette comme moi pourrait gagner les Jeux ?
Et pourtant, je l’ai fait. J’ai gagné les Hunger Games. Comment ai-je fait ? Je l’ignore. J’ai commencé par me faire oublier. Etre invisible, c’est une chose pour laquelle j’ai toujours été douée, et puis j’apparaissais tellement inoffensive aux yeux des autres tributs qu’ils n’ont pas fait de m’éliminer une priorité. Je me suis donc contentée de me cacher et d’essayer de trouver de quoi boire et manger, en laissant les autres s’entre tuer. C’est tout ce dont je me souviens avec précision. Le reste, ma victoire, je n’en ai que des bribes de souvenirs. Stress post-traumatique, disent les médecins. Mais un cauchemar me hante toutes les nuits : une lame ensanglantée, des yeux apeurés, une voix me suppliant de l’épargner. J’ai fait des choses horribles. Je sais bien que j’en étais forcée, mais je n’arrive tout de même pas à m’en remettre.

Lorsque je suis revenue des Jeux, tout le monde m’a félicitée. J’incarnais en quelque sorte l’espoir, la preuve que n’importe qui, même une petite fille fluette, peut sortir vivante des Hunger Games. Mais je ne veux pas être félicitée pour avoir tué des gens. J’aurais peut-être préféré mourir, plutôt que d’avoir à vivre avec leur mort sur la conscience. Cela fait maintenant douze ans que je me suis murée dans le silence, parce que personne ne me comprends. J’ai peut-être gagné les Jeux, mais en réalité, j’ai tout, absolument tout perdu. Tessa Ashton, la vraie, est morte. Et un jour, le Capitole paiera pour ce qu’il lui a fait.