L'odeur du bois, des arbres, de la forêt, qui flotte partout dans l'air. On respire l'arôme des sapins même en ville, on sent l'écorce, le papier, dans chaque petit recoin. L'usine, trop loin pour nous empester de ses déchets, ne sent que lorsque le vent tourne vers le Sud. Le District Sept, maison de tant d'habitants et mère de nombreuses familles. C'est l'endroit où je suis venu au monde, dans la chaleur de mon foyer, auprès de mes frères, de ma tante, de mon père et bien sûr, de ma mère. C'était une soirée d'hiver particulièrement froide, un soir où, semble-t-il, des flocons de neige gros comme des sous s'entassaient sur le pavé. J'étais la lueur dans la tempête, m'a-t-on dit. C'est ainsi qu'on a qualifié ma naissance, comme l'espoir dans le désespoir, comme l'étincelle dans l'obscurité, le bonheur dans le trouble. J'étais signe de bon présage dans la famille, comme un porte-bonheur, comme ses bonnes vieilles pattes de lapins qu'on accrochait à son porte-clé.


J'ai grandi dans cette atmosphère paisible : une ambiance débordante d'amour, de tendresse et d'amabilité. Une vie calme, sans rebondissement, comme la surface lisse d'un lac, d'un étang d'eau sans relent, sans vague. Mes parents travaillaient fort, gagnaient notre pain à la sueur de leur front. Mon père travaillait dans les bois, tranchant les troncs d'une hache lourde et aiguisée, tandis que ma mère était à l'usine, transformant le papier. Mes frères firent de même; dès l'âge requis pour exercer un métier, ils se lancèrent, tête première, dans l'engouement du travail. Anton, le plus vieux, bûchait avec mon père dans les bois, tandis que Feus, le second, était à l'usine avec notre mère et notre tante. On réussissait bien, sans vraiment nager dans l'élite. On se débrouillait pour avoir du pain sur la table, des vêtements, un toit et le reste, l'inutile, le superflu, on l'oubliait. On n'avait pas les moyens d'être dans l'abus, donc on vivait du nécessaire. Dès l'âge de douze ans, j'avais rejoint le rang des bûcherons avec mon père et mon frère. Je ne savais pourquoi, mais jusqu'à ma première journée, j'avais considéré le travail dans les bois comme facile. Mon père, mon frère et tous ceux qui y ont travaillé m'ont pourtant assuré le contraire, mais je n'y mordais pas. Il faut dire qu'à ma première journée, j'eus un choc plutôt douloureux. Être bûcheron, ce n'était pas un jeu d'enfant. C'était de se tuer les mains à chaque coup de hache. D'avoir des ampoules qui naissent aux creux de nos paumes sans jamais vraiment disparaître. La douleur était familière au travail, mais c'était une chose avec laquelle on apprenait à vivre, avec laquelle on s'habituait, même si nos mains en saignaient au début. Heureusement, plus les années passaient et plus on devenait résistant à cette douleur. Nos muscles étaient plus endurants, nos bras plus forts et nos mains plus rigides. Et c'était là, lorsque tout ce travail donnait ces résultats, qu'on se rendait compte qu'on avait réussi : on était devenu un bon bûcheron. On était fort, endurant et vaillant, comme tant d'autres hommes du District 7.


Malgré l'atmosphère paisible dans lequel j'ai grandi, cela ne veut pas dire que nous n'avons pas eu notre lot d'angoisses. Comme toutes les autres familles de Panem, la nôtre était déchirée par les jeux. Chaque Moisson était dévastatrice, atroce. On se levait le matin avec du plomb dans les veines, on mangeait notre pain grillé comme si s'était du papier qui fondait dans nos bouches. Anton, Feus et moi, prenions des tesseraes à chaque année. Nous avions beau être dans une situation acceptable, il y a des mois où la faim nous creusait aussi. Aucun membre de la famille n'a jamais été pigé. Dans un sens, on faisait partie des chanceux qui vivaient dans un monde pas si chanceux que ça. Par contre, on a vu des amis s'y perdent. On les a regardés mourir avec de la haine dans le ventre. Nous n'en parlions presque jamais dans la maison, étant persuadé qu'en discuter creuserait le malheur sur notre famille. On écoutait les jeux, on regardait nos amis mourir, on pleurait, puis on passait à autre chose, même si ça faisait mal, même si c'était dégueulasse, aussi dégueulasse que ces jeux. À chaque année c'était le même scénario. On se levait la peur au ventre, le cerveau engourdi, en priant pour qu'aucun de nos noms sortent de ces fichus bocaux de verre et que le voisin y aille à notre place.