Heureusement que les rencontres avec les tributs se faisaient sur plusieurs jours. Sinon, j'en aurais très certainement perdu mon latin ! J'avais rencontré le jeune Milo quelques heures auparavant. C'était le tour de sa compagne, Léa Sykes. L'équipe de préparation avait mis longtemps pour elle. Les filles, c'était toujours plus compliquées que les garçons quant il s'agissait de leur refaire une beauté. Je le savais, et c'était pour ça que j'avais vu Milo avant elle, même si la politesse voudrait l'inverse. Mais que voulez-vous ? Je ne peux pas me diviser en deux.
Contrairement à Milo, quand j'arrivai dans la pièce que m'indiqua Cycic (alias cheveux verts kakis), La jeune fille patientait dans une salle adjacente à celle où le décrassage et la remise en beauté se faisait habituellement. Elle était dénudée, ce qui ne me surprit qu'à moitié. Le visage fermé, je refermai la porte derrière moi, tout en récupérant une veste en laine. Je la jugea rapidement. Elle était fine mais pas maigre, des traits altiers, une frimousse pour le moins mignonne, des yeux d'un vert grisé et une magnifique chevelure blonde.
L'opposé de Milo... J'aurais du m'en réjouir, au moins elle avait une chance de s'en tirer dans ces jeux de la faim ! Mais non... Je déplorais qu'une aussi belle jeune fille aille dans l'arène. Allez savoir pourquoi ?

"Je m'appelle Maë, je suis ta styliste comme tu peux t'en douter." Lui dis-je sans cérémonie.

A vrai dire, j'étais fatiguée de devoir rencontrer ces tributs qui allaient sans doute mourir sous mes yeux... Autant dire que ça revenait à parler à des condamnés sur le couloir de la Mort, au destin funèbre et tragique. De nature froide, je devais avoir l'air encore plus marmoréenne que de coutume ! Veuillez m'en excuser parce que, ce ne sera pas moi qui demanderai pardon !

"Tu peux te revêtir, je pense que l'examen a assez duré." Je lui donne la veste machinalement. "Tu dois en avoir marre de tout ces regards qui pèsent sur toi sans gène."

J'essayai de montrer ma compréhension, mais c'était vain. Mon ton était sec, démuni de chaleur... Il faut me comprendre : inconsciemment je me suis attachée à ce Milo Kyte, alors que je ne voulais pas. Alors j'essayai comme je le pouvais de ne pas faire la même bêtise avec cette jeune femme ! C'était une façon de me protéger ! Allez savoir comment, psychologiquement parlant, cette histoire peut avoir sur moi ! Il faudrait que j'en touche deux mots à El' un de ces quatre... Elle saurait peut être me dire comment elle, elle fait.
Tout comme je l'avais plusieurs heures auparavant, j'ouvris la porte à droite qui donnait sur un petit salon où la température est plus clémente.

"Après toi, je t'en prie." Je m'efface devant elle.

Le salon était petit : une baie vitrée qui donnait sur les rues du Capitole, une petite table basse, deux fauteuils moelleux en velours beige, un buffet où, comme avec Milo, un plateau nous attendait avec deux verres et une carafe. C'est fou ce qu'ils faisaient preuve d'originalité, pensai-je au fond de moi ! Une fois à l'intérieur, je refermai la porte et je récupèrai le plateau que je déposai soigneusement sur la table basse en cristal. Je versai le liquide - qui doit être un jus de fruit quelconque - dans les deux verres, avant de finalement en présenter un à Léa.

Je m'installai finalement en face d'elle, les traits impassibles. Je devais rester neutre. NEUTRE !
C'était plus facile à dire qu'à faire... Mais pour l'instant, je trouvais que je m'en tirais plutôt pas mal ! La pauvre Léa... Elle devait me prendre pour une styliste méchante, froide et sévère ! D'un certain côté, ça m'était égale de ce qu'elle pouvait bien penser de moi. Mais j'étais contente intérieurement que ma tenue démontre que je n'étais pas si froide ou folle que ça. Habillée d'un pantalon beige serré et d'une tunique rouge, les cheveux détachés, qui retombaient en de belles boucles soyeuses sur mes épaules, j'étais loin des archétype de ces pleutres du Capitole !

J'étais loin de la sympathique Maë que Milo avait eu le droit de rencontrer un peu plus tôt dans la journée. J'étais froide, grinçante et peu encline à me radoucir. Un masque des plus parfait, moulé à la perfection depuis que j'étais adolescente. Un masque qui avait été parfait jusqu'à aujourd'hui... Chose malheureusement révolue. J'essayais de garder un visage impassible, me contentant de parler normalement, sans nuance dans ma voix.
Cependant, je n'étais pas la seule à me montrer froide. Léa l'était tout autant que moi. Je me surpris à me demander si elle avait toujours était ainsi ou si c'était juste depuis son arrivée au Capitole. Cette question resta de côté, tandis que Léa s'installait sur un des fauteuils qui agençaient la pièce après avoir faire le tour du petit salon. Sa réaction me tira un sourire : elle réagissait à l'identique de Milo. C'était étonnant comme la première chose qui leur venait à l'esprit était de s'approprier le lieu où ils se trouvaient... Un très bon réflexe, me semblait-il. Elle prit le verre que lui tendait, avant de finalement poser une question. Question, qui comme par hasard, ressemblait à quelques détails près à celle que son partenaire avait formulé lors de notre entretien. Mon visage ne trahissait aucune émotion, seuls mes yeux étaient susceptibles de montrer mon hilarité passagère. Ils se ressemblaient étonnamment, même s'ils appartenaient tout deux au même district. Et cette ressemblance était, pour le moins, étonnante et agréable !

"Maintenant, j'aimerais te connaitre un peu plus." lui dis-je avec un petit sourire.

Oui, le premier depuis que je m'étais présentée à elle. Et alors ? Il faut bien commencer à un moment, non ? Surtout que son impatience se voyait comme le nez sur un visage ! Et que j'étais certaine que ce n'était pas la réponse qu'elle attendait de ma part...
Si à Milo je lui avais présenté mes croquis, lui demandant son aide, je ne ferais pas la même chose avec Léa. J'avais sa tenue, elle était finie, prête... Je n'avais donc rien à lui montrer, rien à lui demander vis à vis d'elle. Seulement, je me devais de vérifier deux trois trucs à son sujet. Quelles étaient ses intentions vis à vis de la cérémonie ? Que désirait-elle montrer d'elle au gens de Panem ? Et je devait également lui toucher deux mots sur la ligne à suive. Je me comprends.

Je n'eus guère le temps de m'expliquer un peu plus sur le sujet, que la jeune fille me demanda si j'avais eu d'autres tributs avant eux. Cette question me laissa perplexe. Je me doutais qu'on me la poserait, mais pas comme ça. Pas maintenant... Je lus dans ses yeux que la réponse lui était importante. Qu'allais-je bien pouvoir lui dire ? Que non je n'en avais jamais eu avant ? Que c'était ma première année ? Que je ne savais pas ce qu'il fallait faire réellement ? Que j'étais perdue, stressée ?... Je crois bien que c'est vraiment qu'à cette question que mon masque était tombé.

"Heu... Je... Non." Minable, piètre réponse ! Je fermai les yeux le temps de mettre de l'ordre dans mon esprit et je me repris : "Excuse-moi, tu m'as prise au dépourvu. Ce qui n'est pas un mal, en soit." dis-je sur un ton guilleret, dissimulant mal ma gène. "Vous êtes mes premiers tributs. Pour moi aussi tout ça (j'ouvris les bras comme pour désigner le salon et l'ensemble des changements qu'avait engendré les jeux de la faim autour de nous) est nouveau."

Il n'y avait pas besoin de dessins, ni pour elle, ni pour moi. C'était suffisamment clair et limpide. J'étais nouvelle, je n'étais donc pas spécialiste en la matière... Désolée pour toi, ma belle, mais tu as misé sur le mauvais cheval ! Enfin, si miser était le mot. Après tout, on ne leur avait pas donné le choix quant à leur styliste ! D'ailleurs, en y réfléchissant plus, ils n'avaient eu aucun choix. Rien ! Ils n'obéissaient que parce qu'ils n'avaient plus la main sur leur avenir. Ça avait toujours été ainsi...
Je me mordis la lèvre inférieure. J'étais désolée pour elle. Non, je n'avais pas pitié. J'étais juste compatissante. Elle devait se fier à moi et à mes créations pour entrer dans la danse de la meilleure façon possible. Et voilà que je lui disais que j'étais une nouvelle, ignorante de tout... J'imaginais très bien ses doutes et ses incertitudes. J'aurais eu les mêmes à sa place !

"Mais rassure-toi, je sais quand même ce que je fais. Je ne suis pas novice dans le stylisme !" ajoutai-je plus pour me rassurer moi-même que pour rassurer Léa.

La réponse qui fusa directement suite à ma question, me fit rire. J'avais déjà eu vent de ces informations, étant donné que la moindre des choses était que je me renseigne sur les tributs qui m'étaient attribués. Et les premiers renseignements étaient bien évidemment leur nom, leur âge et leur district. Néanmoins, cette réponse me permettait de connaitre une facette de la personnalité de Léa. Froide et hautaine aux premiers abords, il semblait qu'elle soit, finalement, troublée et angoissée. Tout l'inverse, donc, de ce que la jeune fille cherchait à montrer. Ainsi, je n'étais pas la seule à me cacher derrière un masque ?

Je l'écoutai attentivement, sans l'interrompre une seule fois. Sa présentation était naturelle. Elle essayait de se présenter au mieux, sans cacher sa gourmandise. Elle me plaisait dore et déjà ! Je sentais que nous étions faites pour nous entendre. Son caractère était naturel...
D'ailleurs, quand elle prit la parole la bouche plaine d'une pâtisserie, cela me montra que, malgré son malaise, elle restait celle qu'elle était. Disons que souvent, les gens en présences d'autres personnes qui leur sont inconnues, essaient de se faire passer pour quelqu'un d'autre. Ce n'était pas du tout le cas de Léa ! Bien au contraire, elle gardait son naturel même si au départ elle était sur la défensive.

Quand elle me fit par de sa peur d'être affublée de filet de pêche, je ne pu m'empêcher de sourire. Milo avait évoqué cette même peur quelques heures auparavant !
Finalement, elle me parla de cheveux verts kakis en me disant qu'il n'était pas des plus gentils.
Et elle finit par me poser une question.

Je pris à mon tour une pâtisserie que je mangeai rapidement. La bouche vide, je pris la parole.

"Pour commencer, Léa, tu peux me tutoyer. Je ne suis pas une vieille croutonne à qui on doit le vouvoiement qui me fait si mal aux oreilles." ironisai-je. "Surtout que je ne suis plus vieille que toi que de quelques années... Donc oublie le vous, je t'en pris." J'avais demandé la même chose à Milo et, malgré lui, il avait eu bien du mal à oublier ce "vous" si agaçant ! J'espérais que Léa aurait moins de mal... "C'est bien dommage pour les filets de pêche..." commençai-je. "...Malheureusement, je les trouve quelque peu moche et peu d'intérêt ! Ne t'inquiète pas, ta tenue t'ira comme un gant, et devrait attirer l'attention... Sans vouloir m'avancer."

Je n'étais pas de celles qu'on pouvait caractériser de fabulatrices ou d’orgueilleuses.
Même si je doutais constamment de mon talent, j'avais des retours positifs. Léa allait être inoubliable, comme son camarade. Ils allaient certainement avoir des sponsors, c'était certain ! Pas grâce à leur tenue, non. Mais grâce à leur détermination et à leur caractère ! La tenue n'allait être qu'un accessoire de plus afin de les mettre en valeur un peu plus.

"Je suis désolée pour l'équipe de préparation. Accepte mes excuses pour eux, s'il te plait. Je pense qu'ils ont appris, avec le temps, à ne plus s'attacher aux tributs qu'ils avaient entre leurs mains. Ne leur en veux pas, c'est une façon de se protéger je pense. Cycic, c'est le nom de Cheveux verts kakis. Il est adorable en temps normal, mais il n'est pas des plus parleur : il est réservé naturellement. Mais je leur en toucherais deux mots. Après tout, sans s'attacher à vous, ils peuvent vous parler et se montrer gentil !"

Ne faisais-je pas la même chose avec mes tributs ? Enfin, tout au moins j'avais essayé avec Milo... Et ça s'était avéré être un échec ! Avec Léa c'était pareil... Je comprenais l'équipe de préparation, mais je n'approuvais pas leur attitude ! Les tributs n'y étaient pour rien ! Ce n'était que des pions dont le Capitole utilisait pour se divertir !!!

"Oui, j'ai déjà quelques idées... A vrai dire, la tienne est terminée. Les ajustements se feront directement sur toi. Et en effet, il y aura des rappels. Vos tenues sont assorties. Je pense que c'est la meilleure chose à faire."

Le seul travail qui me restait à faire était la tenue de Milo. Ce qui allait me demander la nuit !

"Je préfère t'en faire la surprise, si tu ne vois pas d'objections. Sache seulement que je me suis inspirée des coquillages et de la mer." Je ne désirais pas lui en dévoiler trop... "Ah ! Aussi, je préfère te demander ton autorisation, mais pour la coiffure, me laisse-tu toutes liberté ?"