Je suis assise contre le mur, à même le sol, le regard dans le vague. Ces dernières heures sont passées bien trop vite pour que je puisse faire le point. Je me revois dans le train, comme dans un rêve. Comme si j’étais extérieure à tout cela. Après la réunion plutôt courte avec l’autre tribut et notre mentor, je me souviens être retournée dans mon compartiment, où je suis restée un bon moment. Je me suis douchée, déconnectant mon cerveau pour effectuer ces quelques gestes automatiques. Puis j’ai pris une tenue quelconque dans les tiroirs, une jupe noire assez courte et un haut bleu sombre, ainsi qu’une paire de ballerines noires. Mon collier et mon bracelet n’ont pas quitté leur place. Je détache mes cheveux, les laissant tomber sur mes épaules. Un grand miroir accroché au mur me renvoie mon image, celle de la fille qui chasse la matinée et qui travaille aux champs l’après-midi. Celle qui a déjà défié les Pacificateurs, qui grimpe agilement aux arbres pour tirer un renard. Pas le tribut du District 9, en partance pour le Capitole, pour les Hunger Games. Pour la mort aussi, sûrement.
Quand on m’appelle pour aller manger, je suis totalement perdue, désorientée et vidée. L’étalage de nourriture sur la table, dans des plats de porcelaine fine, me donne envie de crier. Dans le District, beaucoup de gens meurent de faim, parce qu’ils n’ont pas la force de travailler, de chasser, de marcher même. D’autres parce qu’ils n’arrivent pas à nourrir toute leur famille.
Salade, légumes froids, chauds, cuits, crus, céréale en bouillie ou en grains secs, féculents divers, viande cuite, mi-cuite, crue, volaille, gibier, poisson de toute sorte, fruits à l’aspect improbable, tout y passe. Parfois, je reconnais des fruits de la forêt, de ma forêt. Ou du gibier que je tire, comme le lapin couvert de sauce, sur un lit de légumes minuscules, ou les cailles dans leur sauce brune aux morceaux d’orange.
Je me contente d’un ragoût de bœuf avec de petits oignons et des légumes fondants. J’essaie d’apprécier la nourriture, certes délicieuse, mais penser aux familles qui meurent de faim me donne la nausée. Nous-mêmes avons connu cela, quand je n’avais que 9 ou 10 ans. James s’est sacrifié, il a pris des tesserae. Heureusement, ça s’est arrangé quand j’ai commencé à travailler, à chasser dans les bois. Je partais très tôt pour attraper le gibier.
Le lendemain, arrivée au Capitole. Des dizaines de caméras sont là, à nous filmer. Nous passons rapidement dans le Centre d’Entraînement. C’est là que je suis pour le moment, attendant qu’on m’appelle pour faire je ne sais quoi. Sans savoir trop comment, je me retrouve dans la douche, recroquevillée sous la pluie d’eau chaude qui déferle sur mes cheveux et ruisselle sur mon corps. J’examine le panneau de commande d’un air absent et enfonce le bouton « Aiguille de pin ». Une mousse blanche, douce et légère, se dépose sur moi. La senteur familière, rassurante, me réconforte. Elle me fait penser à James, qui doit être dans la forêt avec son grand arc en pin. Je sais que je dois gagner, pour lui, pour mes parents, pour tous ceux que je laisse derrière moi-même s’ils ne me connaissent presque pas.
Quand je sors de la douche, je me sens un peu plus assurée. Un tout petit peu. M’enfin bon, c’est déjà ça de pris. Un boitier me sèche en un instant et j’enfile une tenue que j’ai dénichée dans les armoires de mon énorme chambre. Une robe noire moulante, pailletée d’argent, qui m’arrive juste au dessus des genoux. Je remets mes ballerines noires et lisse mes cheveux sombres. C’est un peu osé comme tenue mais bon, il y aura l’autre tribut, Totem, au déjeuner, alors autant paraître sûre. D’après ce que j’ai compris, notre styliste va nous prendre en charge après manger pour la cérémonie d’ouverture. J'espère juste qu'il ou elle trouvera une tenue qui nous avantagera. Si je meurs, ce serait mieux que Totem gagne. Ainsi, pendant un an, ma famille recevra un présent. Je ne mourrai pas en vain.