Physique - Caractère

Il a les yeux plongés dans son regard à elle. Quatre globes oculaires si semblables qu’on les croirait identiques. Il n’en est rien. Ils vous répondront que chaque paire présente des nuances de couleur différentes de celles de l’autre. Elle a des reflets rougeâtres face à la lumière. Ses yeux à lui sont de la même couleur noisette, mais se parent de temps à autres de doux reflets dorés ou émeraude. Leurs cheveux sont de la même teinte, à mi-chemin entre le châtain et le blond. Et quand ils sourient à l’unisson, leurs visages se creusent des mêmes fossettes.

Mais la ressemblance entre les deux jumeaux s’arrête là. Chacun a ses particularités physiques, ainsi qu’une personnalité propre, foncièrement différente de celle de l’autre. C’est sûrement pour ça qu’ils s’entendent aussi bien. Ils se complètent en tous points.

Ne vous méprenez pas. Vous apprendrez vite que les apparences vous trompent un peu trop souvent. Si Zadig a un visage sympathique, une gueule d’ange, c’est presque pour vous induire en erreur, bien qu’il n’ait pas demandé à être façonné ainsi. Qui peut résister à ses petits yeux aux reflets chaleureux, à ce petit sourire en coin qui vous invite à venir l’aborder pour en savoir un peu plus sur ce bel inconnu ? Même son petit nez pointu, aux courbes presque féminines, ainsi que ses lèvres rosées, recouvrant une rangée de dents d’une blancheur impeccable, rajoutent à son charme, lui procurant des airs angéliques qui ne lui correspondent en rien. A son petit minois de garçon bien sage s’oppose sa coiffure. Contrairement à beaucoup d’hommes de son âge, il aime prendre soin de ses cheveux. Ça ne le dérange pas de passer de longues minutes devant un miroir, à parfaire une coiffure qu’il désire parfaite. Pourtant, un peu de gel pour dompter ses courtes mèches colorées, et le tour est joué. Sauf que dans ce cas précis, la place de chaque mèche est étudiée avec soin.

Bref. Vous l’aurez compris, notre jeune Zadig n’est pas du genre à se prendre à la légère. Son apparence extérieure est importante à ses yeux. Et il a en fait peu de travail à fournir. Soyons honnêtes, il est plutôt bien foutu, non ? Son entraînement lui a apporté une force non négligeable ainsi que des pectoraux d’acier. Il pourrait jouer de ses tablettes de chocolat et de sa svelte silhouette pour frimer auprès de la gente féminine. Mais ce n’est pas son style. Les filles, ce n’est pas sa priorité dans la vie. Ce n’est pas ça qui le fera avancer et assurera son avenir. Cet aventurier a soif de liberté et de combat. Bien sûr, si une belle fille se présente à lui, il n’ira pas refuser ses avances. Cela s’est déjà vérifié plusieurs fois. Loin d’être un dragueur, il préfère se dire que son charme naturel est son meilleur atout. Mais malgré sa bonne volonté, il a du mal à s’attacher aux gens. Il n’est pas du genre imbu de lui-même, mais disons qu’il aime prendre soin de sa petite personne. Normal. Il habite un District on ne peut plus favorisé. Il ignore les difficultés que connaissent les habitants plus pauvres de Panem. Comme tout adolescent digne de ce nom, lui aussi connaît des périodes de doute, et tout ne lui sourit pas non plus dans sa vie quotidienne. Malgré son caractère très sociable, il n’accorde sa confiance qu’à de très rares personnes. Non pas parce que des amis l’ont trahi auparavant. C’est plutôt ce qu’on pourrait appeler sa « paranoïa » qui lui joue des tours. Il n’y peut rien, c’est comme ça. C’est un personnage particulièrement observateur, qui repère les anormalités dès qu’elles surgissent. Manipulateur au possible, c’est un bon tacticien et un stratège de génie. Il est d’un naturel calme et réfléchi, pas du tout le genre à foncer tête baissée sans avoir pesé le pour et le contre. Prudent et attentif, il vérifie sans cesse ses arrières, imagine des tas de scénarios différents pour le même problème et agit en conséquence. Cette capacité d’anticipation pourrait peut-être lui sauver la vie un jour. Qui sait…
Tous ces traits de caractère ont finalement fait de lui quelqu’un d’indépendant et de très autonome, presque un peu sauvage sur les bords. Il faut dire qu’il n’a pas non plus un tempérament des plus faciles à vivre : il ne se laisse pas marcher sur les pieds et est plutôt du genre rancunier. On le voit souvent accompagné de tout un petit groupe de personnes, car il a besoin de se sentir épaulé, même s’il n’est pas entouré d’amis proches. Mais derrière la bonne humeur qu’il affiche ostensiblement, derrière ses plaisanteries et ses sourires qu’on croirait francs, se cache un homme agressif, féroce, parfois même violent. Enfin, il faut se replacer dans le contexte, aussi. Le jeune homme suit un entraînement intensif de Carrière dans le but de participer aux Jeux de la Faim. Il espère être choisi avant ses dix-huit ans ; autrement il serait trop tard. Comme ce projet lui tient très à cœur, il y met toute son énergie. Devenu sportif et endurant à force de pratique, il sait se servir de son tempérament pendant le combat. Sensible à ce qui se passe autour de lui, il s’arme de sa discrétion et manie particulièrement bien les petites armes qui ne prennent pas trop de place. Du style couteaux, dagues ou shurikens. Notre expert du combat au corps à corps sait néanmoins faire preuve de sang-froid. Ce n’est pas une petite boule de nerfs prête à exploser à tout instant. Il sait se montrer tendre et compréhensif, en particulier envers sa sœur jumelle, à laquelle il tient tant.

Histoire

Ca fait déjà seize ans que Zadig a vu le jour. Un 13 juin, très précisément. Vous pensez que ça n’a rien d’important. Détrompez-vous. Ce n’est pas une date parmi d’autres, un jour comme les autres. Car ce jour-là, ce sont deux petites têtes supplémentaires qui viennent peupler le District Un, et non pas une seule. Deux petits êtres de chair et de sang débarqués dans un monde à feu et à sang.

Remarquez, ça aurait pu être pire. Elevés au Ditrict Un, ni l’un ni l’autre ne connaissent trop de difficultés. Leur District est directement affilié au Capitole, qu’il fournit en bijoux et autres produits de luxe. Autant dire que ce n’est pas l’endroit le plus pauvre et le moins bien nourri de Panem. Si bien que les deux nouveaux nés connaissent une enfance aisée, que peuvent leur envier les habitants des Districts plus pauvres. Grâce à la profession plus que bien rémunérée de leurs parents, fameux bijoutiers, ils mangent à leur faim, chacun de leur besoin de bambin est satisfait, et plus encore. Ils ne manquent de rien et sont couverts de jouets. Alors, pour des bébés qui ne demandent qu’à s’amuser, c’est le bonheur le plus parfait. D’autant plus qu’ils sont deux. Pas besoin d’attendre trois ans pour avoir un frère ou une sœur. Ils ont déjà un compagnon de jeu idéal. Il y a le plus âgé, sorti du ventre de la mère environ deux minutes avant l’autre. On l’a baptisé Faust. L’autre, c’est une petite fille, Avalon. Ils s’entendent comme larrons en foire, faute de capacité de jugement. Ils ne sont pas jumeaux pour rien. Ils grandissent, et se forgent une personnalité propre. Mais ils restent ensemble. Toujours. Le garçon développe même une fâcheuse tendance à vouloir protéger sa sœur. De tout. De rien. Mais jamais il ne tente de la rabaisser. Elle est son égale, et il le respecte. Elle a une grande influence sur lui, tout autant qu’il en a sur elle. Ils découvrent ensemble, apprennent ensemble. Et même si, en grandissant, ils devinent que prendre certaines distances ne leur sera que bénéfique, ils restent très proches.

Et puis vient le jour fatidique où une autre personne vient habiter la maison. Une petite fille de trois ans de moins. Pearl, qu’elle s’appelle. Elle est mignonne, calme et tellement douce que les parents lui accordent toute leur attention. Attention qu’elle réclame, de toute façon. Les jumeaux sont alors un peu mis de côté. Surtout Faust. Parce que les parents semblent préférer les filles. Si certaines familles se plaignent de ne mettre au monde aucun garçon, ce n’est pas le cas de celle-ci. Elle ne se plaint pas non plus de l’existence de Faust, mais on voit qu’elle est largement compensée par la présence des deux autres filles. C’est peut-être leur profession de bijoutier qui tend à leur faire voir les choses d’un autre œil. Qui sait ? Ce n’est pas une guerre ouverte, à la maison. Du moins pendant douze ans. Après, Faust devient un adolescent. Et qui dit « adolescent » dit forcément « crise ».

Et pour une crise, c’est une crise. Faust explose de frustration. Pour la toute première fois, il perd son légendaire sang-froid et tente d’expliquer sa vision des choses, à grands renforts de cris et de coups de poing sur différents meubles un peu trop présents. Une tempête ne dure jamais bien longtemps. Pas plus d’un quart d’heure, disons. Celle-là fait exception à la règle. Elle s’est étalée sur une heure, peut-être deux. C’est que, quand Faust vide son sac, il ne fait pas les choses à moitié. Il part finalement en claquant la porte, faisant trembler l’intégralité de la maison. Une maison à l’intérieur de laquelle va s’installer un froid polaire, qui ne s’est pas réchauffé depuis. Faust n’adresse plus la parole à ses parents pendant près d’une année entière. Sa petite sœur, exaspérée par son comportement, et, quelque part, se sentant un peu coupable, décide de ne plus lui parler non plus. Ne reste que Avalon, sa jumelle éternellement fidèle. Car, malgré leurs différends et leurs différences, ces deux-là savent qu’ils pourront toujours compter l’un sur l’autre. Le soutien de sa sœur lui est une aide précieuse.

Un an après les faits, Faust change. Du tout au tout. A commencer par son prénom. Reniant toute la dimension morbide de son premier prénom, il choisit d’utiliser le deuxième, Zadig, couramment. Aussi personne ne l’appelle plus Faust depuis un bout de temps déjà. Il arrête l’école, également. Il termine l’année scolaire qu’il a entamée, mais n’y retourne pas l’année d’après. Il a mieux à faire. Comme il refuse de passer ses journées à la maison, au sein d’une famille qui le répugne, il va dehors. Ses parents ignorent qu’il ne suit plus aucun cours. Ils ignorent que leur fils arpente les rues à longueur de temps, sans trop savoir où aller. Il observe, voilà ce qu’il fait. Il observe les choses, les gens, leurs manières d’agir et de parler. Il apprend sur le tas. Apprend à se connaître dans cette solitude volontaire. Se découvre une fierté et une volonté d’aller au bout des choses. Une volonté de se faire connaître et d’être reconnu. Pour ça, il n’y a pas trente-six solutions. Il décide de suivre l’entrainement intensif imposé à tous ceux qui souhaitent devenir des Tributs de Carrière. Pour ça, et aussi pour retrouver un semblant de vie sociale. Il ne supporte pas la solitude très longtemps. Et c’est ce nouveau but qui va donner un sens à sa vie. Car les Jeux, il les veut. Il désire à tout prix être tiré au sort. Pourquoi exactement ? Pas vraiment pour se venger de sa famille, ni montrer à ses parents à quel point ils pourraient être fiers de lui. Non, ce n’est pas ce qui l’intéresse. Il veut vivre, tout simplement. Enfermé dans un cocon familial trop étroit, qui lui promet un avenir assuré en tant que bijoutier, il a l’impression de ne pouvoir respirer. Créer des colliers et tailler des pierres précieuses, très peu pour lui. Les Jeux sont une promesse de mort. De gloire, aussi. Zadig veut vivre. Il veut surtout se sentir vivre. Vibrer, avoir peur, tuer, fuir, trahir, tromper, gagner. C’est ainsi qu’il conçoit les Jeux. Ses Jeux. Qu’il attend avec impatience.