Un blanc intense, qui brulerait les yeux à n’importe quel mortel, m’enveloppe. Je suis allongé dans le vide, en fermant les yeux, pensant à toute ma vie passée.
Vu que je suis mort, autant me mettre à l’aise, car ça risque de durer un petit bout de temps.
-Seed Holt ?
Une énorme voix résonne dans ma tête, je répond doucement.
-C’est moi.
Petit moment de silence, j’entend des bruits de dossiers qu’on déplace.
-Mort pendant… Les hunger games ? C’est ça ?
Merci de retourner le couteau dans la plaie, divin inconnu.
-Oui.
Encore des bruits de paperasses mal rangée et un toussotement.
-Quelle religion ?
Sa question me surprend. Je suis mort, point barre. Je ne vois pas ce que la religion a à voir là-dedans.
-Pourquoi vous me demandez ça ?
-Répond-moi.
La voix a prit un ton plus autoritaire, comme si j’étais l’énième personne à qui elle parlait et qu’elle était pressée d’en finir.
-Aucune, je vais aller en enfer ?
-Hein ? L’enfer ? Non, non, t’inquiète pas.
La voix semble réfléchir, puis elle dit précipitamment :
-Je reviens tout de suite.
Un grand moment de silence, à songer à ce que je vais devenir, puis la voix revient, plus calme :
-J’ai une proposition à te faire.
-Je vous écoute.
-Résurrection ou ange gardien ?
La résurrection me tente bien, mais la curiosité me pique :
-Je peux avoir plus de précisions ?
-Avec la résurrection, tu oublies tout de ta vie passée. Avec l’ange gardien, tu retourne en bas sous la forme de fantôme et tu accompagne une personne encore vivante. Mais il n’y a qu’elle qui peut te voir et t’entendre et tu ne peux pas interagir avec le reste du monde.
-Et ça sert à quoi ?
-Personnellement, je ne sais pas encore très bien. J’imagine que c’est pour soutenir psychologiquement ceux qui en ont le plus besoin.
J’hésite entre les deux, après quelques minutes de réflexion, la voix s’impatiente.
-Il y en a beaucoup, des gens qui prennent ange gardien ?
-Non, ange gardien est une sorte de test. Il a été instauré il y a même pas une heure et on ne sait pas si ça marchera aussi bien que la résurrection, si ça se trouve, tu seras le premier et le dernier à être un ange gardien.
-Je vais prendre ange gardien, alors.
-A la bonne heure !
J’entend la voix sortir une feuille, et me la lire :
-Alors, ton client sera un garçon de 14 ans nommé Tom Beoulve ! Tu retiens ça ?
-Tom Beoulve… D’accord.
-Tu le reconnaitra facilement : Il est blond, plus grand que toi et il a un visage plus rond.
Je tente de m’imaginer un portrait robot dans ma tête, mais j’arrive juste à faire un portrait très vague.
-Question caractère, il est très renfermé, il n’a pas d’amis proches et ne cherche pas à en avoir.
-Je vois…
-Quand il n’est pas aux champs à aider son père, il traine un peu partout, la tête dans les nuages, et revient chez lui uniquement pour manger et dormir.
-Et que vais-je devoir faire ?
-Je ne sais pas, le rendre plus sociable, peut-être ?
-Mais si il n’y a que lui qui peut me voir et m’entendre, les autres vont le prendre pour un fou, non ?
-C’est un risque à prendre, et je te le répète, tu es le premier à le faire, alors on ne sait pas comment ça va se passer.
-On improvisera, alors…
-C’est bon ?
-C’est bon.
 
Au début, je ne ressent rien, puis, au bout de quelques minutes, je sens que je suis allongé dans l’herbe. Je me lève et regarde autour de moi. Je suis dans mon district, dans la forêt non loin du marais.
J’entend un bruit de pas. Je tourne la tête et aperçoit un garçon blond avec un air grognon, assis par terre et adossé à un arbre.
Je m’approche doucement de lui, les mains dans les poches.
Ca y est, il m’a vu.
Il écarquille les yeux, il a dû me voir à la télé.
Une fois en face de lui, je le regarde dans les yeux et lui souris avec toute la sympathie du monde :
-Bonjour, Tom.
 

Une journée comme les autres, un matin comme les autres et une rencontre… Pas comme les autres.  
Ce matin là, je n’avais rien de spécial à faire, mes parents n’avaient pas besoin de moi et la journée était suffisamment ensoleillée pour se balader un peu.
Je suis allé dans la forêt la plus proche, et je me suis assis par terre, adossé à un arbre, pour gouter à la quiétude matinale du lieu.
Après quelques minutes, je vois quelqu’un approcher.
C’est un jeune garçon qui se rapproche de moi, un petit blond. D’habitude, personne ne vient me parler, alors je le regarde s’avancer vers moi, curieux.
Sa tête me dit quelque chose…
Un détail m’interpelle.
Il n’est plus qu’à 5 mètres de moi, et pourtant, je n’entend pas les bruits des feuilles sous son pied. Il marche en silence, comme une ombre, comme un courant d’air qui se déplace sans bruit sur les feuilles sèches.
Une fois devant moi, il me regarde, avec toute la gentillesse du monde :
-Bonjour, Tom.
Il connait mon nom.
Et pourtant, je me souviens juste l’avoir croisé quelques fois, dans la rue, mais je ne me souviens pas lui avoir dévoilé mon identité. La dernière fois que je l’ai vu, c’était… Merde !
 
Je fais un bond,  m’éloigne de lui le plus rapidement possible, et lui crie,  derrière un arbre voisin.
-Qui… Qui es-tu ?
-Je m’appelle See…
Je lui coupe la parole :
-Non ! C’est pas possible ! Je t’ai vu à la télé ! Tu es mort égorgé pas plus tard qu’hier !
-Oui, je sais, mais…
-Tais-toi ! Tu n’existe pas ! Va mourir !
Je fais demi-tour et retourne chez moi en courant.
Le reste de la journée passe presque tranquillement, mais la nuit qui suit est agitée, et je n’arrive pas à me rendormir.
J’essaye de relativiser, en me disant que c’était juste un rêve et que j’ai dû m’assoupir dans la foret mais malgré ça, je ne dors pas de la nuit.
Le soleil se lève.
Je me lève difficilement, repensant à ma rencontre d’hier et me dirige lentement vers la salle à manger. Mes parents sont là, en train de déjeuner tranquillement. Une fois assis à table, mon père me dit :
-Tu as des petits yeux, tu as passé une mauvaise nuit ?
-Ouais, j’ai pas beaucoup dormi.
-Ils ont l’air sympa, tes parents.
Je sursaute. Seed était assis sur la table, en face de moi.
-Qu’est-ce qu’il fait là ?
Mes parents se regardent, puis me disent, en synchro :
-Qui ça ?
-Ben, lui !
Je le pointe directement du doigt mais mes parents ne regardent même pas, comme si ils étaient persuadés qu'il n'y avait personne.
-Tu es sûr de que tu vas bien ?
-Tom, je voudrais te parler.
-Je… Je vais me recoucher.
-Tom !
Je me lève précipitamment et retourne dans ma chambre, sous les yeux ébahis de mes parents, je claque la porte au nez de Seed, qui me suivait.
-Tom, ouvre-moi.
-Dégage.
-Ouvre-moi ou je rentre.
-Essaye pour voir.
Je m’éloigne de la porte, je sais déjà ce qu’il va faire.
Le corps de Seed traverse littéralement la mince barrière de bois comme si ce n’était que de l’air. Je tente de lui donner au coup de pied au visage, mais j’arrive juste à frapper violemment la porte de ma chambre. Je panique, me place à l’autre bout de la pièce et lui crache :
-Pourquoi il n’y a que moi qui peut te voir ?
Il réfléchit quelques instants, puis me dit :
-Ce serait un peu long à t’expliquer.
-Explique.
Il soupire longuement, puis me dit :
-Ecoute, ce que tu dois retenir, c’est que je dois te suivre pendant tout le restant de ta vie.
-Obligé ?
-Obligé.
-Et c’est tout ? Pas de malédiction, pas de voyage aux cœur des limbes ?
-C’est tout.
Je m’assois sur mon lit, calmé. Même si le fait de passer le restant de mes jours avec un mort ne m’enchante pas vraiment, je pense que je m’entendrais bien avec lui, car d’après ce que j’ai vu dans l’arène, il a plus ou moins le même caractère que moi. Surtout qu'on ne peut pas dire que j'ai beaucoup d'amis.
-Tu savais que Lucas passait dans le district demain ?
Il semble surpris de mon changement brutal de sujet et de comportement, mais il a l’air content que je ne lui hurle plus dessus.
-Ah oui ? Et alors ?
-Et alors, tu as aimé la manière dont il t’a tué ?
-Bien sûr, j’ai adoré ça.
Cool, il sait manier l’ironie, quand je disais qu’on allait bien s’entendre.
-Et tu n’as pas envie d’aller lui parler ?
-Je te rappelle que je ne peux parler qu’à toi.
-Oui, mais tu peux me souffler tes paroles.
Il me regarde avec un grand sourire, il a compris mon idée.
-Après ça, on pourra aller voir une amie ?
-Bien sûr.
J’arbore un petit sourire sadique.
-J’ai hâte de voir sa réaction.
Il regarde par la fenêtre, l’air mélancolique.
-J’espère qu’elle te croira.
-Ne t’inquiète pas,

Je suis un bon porte-parole.