Je ferme les yeux pour me concentrer au maximum. Il faut qu'une fois les couleurs du monde revenues danser en face de mes pupilles, je sois calme, l'esprit vide. Une respiration. Deux respirations. Trois respirations. Je perçois le brouhaha de la foule, au loin. Je sens les odeurs diffuses d'un plat, s’échappant de l'une des fenêtres du quartier. Rester les yeux clos, perdu avec sois même, procure un agréable moment de solitude, permettant ensuite une concentration presque absolue. Trois secondes plus tard, je bats des paupières, saisis la plume fantaisie qui me sert de stylo, attrape la bouteille d'encre bleue océan située à l'extrémité de mon bureau de bois blanc, et commence à inscrire de longues lettres fines et soignées sur un petit cahier :

Wanna E. Eveningstar.10 ans.

Un jour d’été pluvieux. Année des 74ème Hunger Games.

Océan de pensées :

Aujourd’hui, la ville était recouverte de nuages gris ; il pleuvait. Je ne sais pas pourquoi, mais malgré les apparences, au fond, tout au fond de moi, je ressentais comme un petit pincement au cœur. Est-ce cela que l’on appelle la tristesse ? Je l’ignorais, je l’ignore encore ; pourtant, je ne peux m’empêcher de penser que ce sentiment tout nouveau pour moi, me détruisait de l’intérieur, pas d’un seul coup, mais à petits feux.

Toutes ces teintes ternes et maussades dans le paysage, semblaient me capturer, m’englobant, pour m’étouffer à moitié.

« Pourquoi ? »

C’était cette question en tête que je regardais le ciel pleurer, tout le long de la journée, tandis que la maîtresse parlait avec entrain du décès brutal et imprévisible de la petite Eycko Ice, tribut du district douze, en milieu d’après-midi. Pour être honnête, je ne prêtais qu’une oreille distraite au flux d’absurdités que cette femme proférait.

« A quoi bon écouter ? » me disais-je.

Eycko, cette fillette froide et sans cœur, (Mais fillette tout de même, donc innocente, comme moi, comme les autres, comme tous les enfants.) je m’en contrefichais. Si seulement elle avait su tout le mépris qu’elle m’avait inspiré quand son cœur battait encore, si seulement elle avait su ! A mes yeux, ce n’était qu’une gamine capricieuse, essayant en vain de changer le cour de son destin, agissant sans réfléchir et sans rien prévoir. Elle était méprisante. Elle était emplie de haine. En somme, elle n’avait pas compris grand chose à la vie. Elle est morte seule dans l’eau, complètement à côté de la plaque, et, j’ai honte de le dire, mais c’est tant mieux.

Oh, et puis, au diable cette défunte jeune fille, revenons à mon histoire.

Je n’avais que faire de tout cela ; j’étais bien trop perturbée par cet étrange sentiment d’emprisonnement et de peine qui me rongeaient les entrailles.

Des gouttes s’écoulaient le long de la vitre ; moi, je regardais ces dernières, en même temps que mon reflet. De longs cheveux blonds tombant en cascade sur mes épaules, un visage rond et respirant la santé, une petite bouche de fillette et de grands yeux d’une couleur extraordinaire et étrange ; des yeux dorés, beaux, brillants, d’ordinaire rieurs ; ce sont ces images que je voyais transparaître dans la vitre ruisselante. C’était mon visage, c’était ma silhouette, c’était… mon apparence, à moi, Wanna. Belle ? Horrible ? Je ne savais et ne sais toujours pas. On me qualifie souvent de jolie. Je ne crois pas. Bref, ne nous attardons pas sur de simples détails, indignes de tout intérêt…

Je me souviens, que d’un geste nerveux, je tripotais mon écharpe de laine multicolore, celle qui ne me quitte jamais, sans pouvoir m’arrêter. Cette écharpe, un cadeau de ma bien aimée grand-mère, je la considère comme un porte bonheur. Elle est à moi. Elle est toujours auprès de moi. Elle est mon écharpe, c’est tout, il ne faut pas aller chercher plus loin, point à la ligne.

Lorsque la sonnerie s’était faite entendre et que notre institutrice avait, enfin, bien voulu se taire, je m’étais levée vivement, et sans le moindre regard à gauche ou à droite, avais quitté la salle de classe, prête à affronter l’averse au dehors. Je me sentais frustrée, énervée, pourtant Dieu sait que je suis la joie de vivre incarnée, toujours à venir en aide aux personnes en difficultés, toujours à rire et à sourire, toujours à chanter et à danser, toujours à courir et à m’amuser… Oui, tu l’as bien compris cher journal, je suis le parfait prototype de la petite fille bien élevée du Capitole, et quoi de plus normal, après tout ? Amoureuse de la joie et des couleurs, j’aime le soleil chaud, en permanence au-dessus de nos têtes, j’aime le ciel bleu azur du jour et le bleu nuit parsemé d’or du soir, j’aime l’entrain des « Capitoliens », j’aime les fêtes, j’aime les couleurs éclatantes ; bien évidemment que cet univers est adapté pour moi !

Bloquant ma respiration, je m’étais préparée psychologiquement à la douche que j’allais prendre, mais… je ne réussis pas à mettre le pied dehors. Je n’en avais ni le courage, ni la force ; encore une fois cette réaction ne me ressemblait pas. Se battre, toujours, en permanence, à jamais, fait partit de ma mentalité. Ne jamais rien lâcher, toujours œuvrer pour ce que l’on croit juste, ne pas baisser les bras, insuffler du courage aux autres ; je suis comme ça. (Certes, tout à l’heure je reprochais cela à « Eycko ». Mais ce n’est pas pareille. Elle n’agissait que pour elle. J’agis pour les autres et non pour moi.)

Alors, pourquoi restais-je là, sans oser sortir, si c’était dans mon tempérament, me demandes-tu ? Sur le moment, je t’avoue que je l’ignorais. Néanmoins, après plus d’une heure de méditation, je pense être à même de te fournir une réponse sans me tromper.

Si je devais me décrire en un mot, je dirais que je suis une flamme. Je suis une lueur de bien être pure et innocente qui éveille les sourires. Seulement, le feu est loin d’être immortel, tu t’en doutes bien, ami journal. L’eau. L’eau est l’ennemi mortel de cette source de chaleur belle et dansante. Oh bien sûr, je n’ai pas la prétention d’être une flamme au sens même du terme ; l’eau ne peut m’éteindre, et je ne la crains pas. Néanmoins, qu’inspire la pluie à ton avis ? De la tristesse et du désarroi. De l’obscurité et de la terreur. Des larmes et des cris. Et si nous supposons métaphoriquement que je suis un feu de bonheur, qui est à même de me détruire ?

Une source de ténèbres, une source de peine ; oui, en quelque sorte, la pluie, mais pas par les gouttes ; par les sentiments qu’elle engendre.

C’est cette réponse si, qui m’a le plus convaincu, mais à présent que je t’ai éclairci les idées sur mes façons de penser, je te propose de me laisser reprendre mon récit là ou je l’ai laissé, car ma petite aventure du jour est loin d’être terminée.

Je disais donc, que j’étais coincée. Je n’osais pas sortir, de peur d’être submergée par cette tristesse autour de moi. Je n’osais pas rester dans l’école, de peur de découvrir de la lâcheté en moi même. Il est vrai, qu’au Capitol, il ne pleut pratiquement jamais ; une fois ou deux par an au maximum. C’est peut-être aussi pour cette raison que je n’osais pas m’aventurer seule sous ces trombes d’eau ; parce que je n’y étais pas habituée Prenant ma respiration et fermant les yeux, j’avais pris mon courage à demain, décidé à en découdre.

Je sentais l’odeur fraîche de la pluie. Statique, je m’efforçais de ne plus bouger, attendant la première gouttelette, mais rien ; rien de rien. Pas d’eau, dégoulinant sur ma peau admirablement blanche ; pas de cheveux brillants, trempés ; je ne comprenais pas, je ne comprenais plus. Alors, intriguée (je suis loin d’être patiente vois-tu…), j’ouvris les yeux et mon regard doré s’illumina. Des centaines de rayons de lumière fusaient vers moi et dans toute autre direction. Le ciel avait séché ses larmes, le ciel avait envie de rire. S’en même m’en rendre compte, je me mis à courir, un large sourire sur les lèvres. Autour de moi les gens paraissaient surpris, il est vrai que voir un petit corps fin et léger foncer dans les ruelles, complètement au hasard et glissant dans les flaques encore présentes, a de quoi attirer les regards, je te l’accorde. Néanmoins j’étais heureuse, si heureuse. Mon cœur venait d’exploser en éclat de bonheur. Sentir la présence du soleil chaud, suffisait à me rendre euphorique. J’aime ma joie, j’aime ma vie, j’aime les choses toutes simples.

Contente d’avoir retrouvé la Wanna habituelle, je m’étais mise en route pour la maison, chantant à tu tête des chansons de fêtes. Vite, il fallait que j’arrive à destination ; vite très vite. J’étais à nouveau impatiente, impatiente de te raconter cette journée incroyable ; oui incroyable. Car la tristesse, ce sentiment bien complexe, c’était la première fois, oui la première fois que je le ressentais.

Aujourd'hui, j’ai appris une chose, la peine est atroce, dire que des gens ne connaisse pas la joie de vivre… Désormais, je ferais tout pour transmettre mon entrain et ma bonne humeur permanente aux autres.

Et toi, cher journal, t’ai-je rendu heureux en me décrivant un peu en ce jour ? car oui, en te racontant cette histoire de mon quotidien, tu en a appris plus sur moi, c’est certain.

Affalée sur le sable chaud et doré de la plage artificielle, j'écoute le doux murmure des vagues qui viennent me lécher les pieds avant de s'en aller, pour revenir avec plus de force encore. D’ici, j’entends aussi les cris des touts petits, qui doivent sans doute se chamailler pour savoir qui aura le droit de démouler le seau emplit de sable mouillé, pour en faire un pâté. Les goélands robotiques volent dans le ciel d’un bleu réel mais synthétique. Le soleil rayonne, mais ne brûle pas, car ce soleil, n’est pas le soleil, mais une pâle imitation de l’original, que l’on ne peut reproduire, selon moi. L’eau de la mer ondule, mais n’est pas salée, car cette mer, n’est pas la mer que les habitants du district quatre connaissent. Les poissons qui nagent à la surface savent sauter, mais ne sont pas comestibles, car ces poissons ne sont pas les poissons qu’ils semblent être. Tout semble, mais rien n’est. Ce nuage pourpre est faux, cette sirène est une illusion, cet îlot à l’horizon n’a pas de consistance et ce vent frais est tout sauf naturel.

Mais pourquoi pleurer pour autant ? Certes, ce paysage n’est pas vraiment vrai, mais au fond, qu’est-ce que ça change ? L’important est de passer un bon moment, pas de se poser mille questions, pour enfin de compte, ne déboucher sur rien. Les yeux fermés, je me redresse doucement, posément, avant de les rouvrir et d’admirer l’eau faussement houleuse. Alors, s’en que je ne sache pourquoi, comme si ma vie en dépendait, je sors un crayon gris et un carnet de mon sac de sport. Je dois écrire, là, maintenant, tout de suite. Il le faut. Ecrire, tous ce qui me passe par la tête, écrire des moments forts que j’ai vécu, décrire ce que j’ai pu voir. C’est une nécessitée, il faut que je m’exprime, que je sente mes sentiments déferler encore plus dans mon sang ; pour me faire vivre, pour me faire rire. Parce qu’écrire, c’est mon deuxième poumon, mon oxygène.

Les jambes en tailleur dans le sable, mes cheveux dorés au vent, je prend mon souffle ; ma main bouge alors toute seule, traçant des phrases, que je le veuille ou non.


Wanna E. Eveningstar

Ribambelles d’histoires passées.


1- le petit garçon

Il faisait beau, les oiseaux chantaient, le vent sifflait et le soleil dansait avec les nuages, tous d’un blanc cristallins. Echarpe au cou, habillée de jean bleu et d’un débardeur blanc, je marchais dans les rues grouillantes de monde, sautillant presque. Le temps était si parfait, que rester dans la maison relèverait de la bêtise, vraiment.

Je m’enfonçais dans les quartier de la ville, au hasard, ne me préoccupant pas une seule seconde de la direction que je prenais. Oh j’allais oublier, cette aventure là, c’est passé il y a cinq ans de cela, en fin Août, j’avais donc cinq ans, mais peu importe mon âge, revenons plutôt au vif du sujet.

J’étais jeune, innocente, insouciante ; quoique, pas moins qu’aujourd’hui à vrai dire, mais ce n’est qu’un détail. Je disais donc que j’étais tout d’une petite fille naïve, qui se promenait seule dans une grande ville, cheminant à travers les ruelles animées. Mon carnet en main, je me souviens que j’écrivais tous ce que je voyais sous la forme de petits poèmes ; et oui, je suis née avec une plume, c’est indéniable, car à cinq ans, j’écrivais déjà comme un personne de quinze ans. D’ailleurs, ma mémoire me permet en ce jour, de retranscrire sur ce nouveau cahier, les trois poèmes de cette journée ensoleillée.

Capitole :

Qu’elle est belle ma ville
Léchée par les rayons,
Qu’elle est belle ma ville
Parcourant les saisons.

Illuminée par une lumière de folie,
Une lumière de rire, une lumière de vie,
La capital reste à jamais animée,
Belle et enflammée.

Qu’elle est belle ma ville
Débordante de mélodies,
Qu’elle est belle ma ville
Quand elle danse la nuit.

Je me permet un petit commentaire, pour éviter d’enchaîner directement avec ma deuxième « œuvre », si on peut dire. Sur ce, voici mes vers suivants.

Juste une danse :

Sur le sol pavé,
On l’entendait danser.
Dans ce petit quartier,
On la voyait rêver.

Riant s’en s’arrêter,
Dans cette rue isolée,
Elle tournait et tournait,
Avec son petit carnet.

Un pas en avant,
Un pas sur le côté,
On regardait cet enfant
Danser et danser.

Effectivement, le nombre de pied n’est pas réellement respecté, mais comme je l’ai déjà dit, j’avais cinq ans, est-ce ma faute si j’ignorais que les syllabes étaient importantes en poésie ? Et puis, cesse de te moquer de moi l’ami journal, car quoi que tu dises, le troisième poème de mon cru est en alexandrin ; j’avoue ne pas l’avoir fait exprès, comme quoi, en littérature, la chance compte aussi.

L’univers coloré :

Sur un banc blanc, une dame vêtue de bleu,
Faisait un veux, ses jolis cheveux dans le vent.
En face du banc, un passant la regardait.
Si sérieux, si nerveux, le visage terreux,
Il fixait sa peau vermillon intensément,
Sans daigner un seul petit instant s’en aller.

La dame à la peau rouge et aux grands yeux jaunâtres,
Se leva avec difficulté et pleura.
« Pourquoi me fixez vous ? » gémissait-elle, peinée.
Le pouilleux à la barbe et à la bouche verdâtre,
Reprit sa route, laissant la femme là,
Sans lui avouer, que tant de couleurs lui plaisait.

Oh , je me suis faîte démasquée. Oui j’avoue que « L’univers coloré » comporte deux vers de treize pieds ; mais malgré cela, je ne suis pas peut fière de mon petit poème à deux strophes.

A présent que tu as eu un avant goût de ma fibre poétique, (oui j’exagère, mais l’expression fibre poétique est si jolie…) je te propose de te replonger lentement dans ma première histoire que je suis loin d’avoir terminée. Alors petit carnet, je t’invite à prendre une tasse de chocolat bien chaud et à m’écouter m’exprimer.

J’écrivais donc au rythme de mes pas, qui, il faut bien le dire, m’emmenaient je ne sais où. Le problème, je m’en aperçu lorsque le jour commençait à décliner ; j’étais perdue. Dans une ruelle déserte, seule, probablement à l’autre bout de la ville, j’ignorais quel chemin prendre pour rentrer à la maison. Il faut dire que ça ne me dérangeais pas le moins du monde, mais je savais que papa, maman et mère-grand allaient finir par s’inquiéter, et cette idée me terrifiais ; car pour rien au monde, je ne voulais que ma famille ai peur et encore moins pour moi. Néanmoins, je continuais à déambuler dans ces petits quartiers isolés, faisant comme si rien ne s’était passé.

Perdue ou pas, rien ne changeais. « Ne jamais perdre espoir », était l’une de mes plus précieuses devises de l’époque, et comme l’indiquait le proverbe, je ne désespérais pas, bien au contraire ; après tout, je me baladais toujours, mais cette fois, je priais pour atterrir devant chez moi, comme par magie.

Ne voyant toujours pas de rue familières, je crois bien m’être mise à chanter pour m’être un petit peu de bonheur autour de moi, si ma mémoire ne me joue pas des tours je pense que j’entonnais une petite comptine bien connue ; tiens voici le début !

"Promenons nous dans la ville
Pendant qu’le soleil ne dors pas,
Si l’soleil dormait on s’mettrait à pleurer,
Mais comme il dort pas, on n’pleurera pas."

Et oui, le chant est un anti-stress scientifiquement prouvé. Néanmoins, je voyais bien que mon instinct ne me menait que plus profondément dans les entrailles ombrageuses de la ville.

Il n’y avait pas âmes qui vivent.
Il n’y avait aucuns bruit.

J’ignore combien de temps je restai calme, mais mes souvenirs me souffle qu’au bout d’un moment la peur de rester prisonnière dans ce labyrinthe de venelles prit le dessus.

[A SUIVRE]